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Mobilisation

16 mai 2007 3 16 /05 /mai /2007 19:32
Un score insuffisant
pour bousculer le jeu politique,
mais suffisant
pour donner envie
de continuer à innover

Contribution à la réflexion, de Jacques Perreux.
Il était le directeur de campagne de José Bové.

Le refus de capituler

La candidature collective de José Bové a porté quelque chose de très original par les temps qui courent où prévalent les divisions de toute sorte et les tentations identitaires. Elle est née du refus de capituler devant les tropismes de la LCR et du PCF. La tentative de hold-up de décembre a, dans un premier temps, pris au dépourvu et sonné bien des antilibéraux. Dans un deuxième temps, un appel citoyen incluant des militants politiques, syndicalistes, associatifs de toutes sensibilités a permis de déclencher un début de dynamique.

Si, au terme d’une campagne courte, improvisée mais enthousiaste, notre résultat n’est pas celui que nous espérions, il ne doit pas effacer ce que nous avons produit et construit de nouveau et ne peut pas nous amener à nous soumettre encore aux logiques de divisions qui semblent toujours prévaloir. La passion de l’unité est à la source même de cette campagne et de l’existence et des pratiques des 5OO comités qui l’ont menée, tout simplement parce que l’unité est le B.A. BA des victoires populaires, tandis que la division est l’assurance des défaites. C’est cette unité qui permettra d’inventer et de porter le projet de transformation sociale qui manque tant aujourd’hui.

Qui aurait pu imaginer, le soir de notre victoire historique du 29 mai 2005, que seulement deux ans plus tard arriveraient largement en tête du premier tour de la présidentielle avec un total de 75 % des voix les trois candidats des trois partis du OUI que nous venions de battre et que le quatrième serait Le Pen ?
C’est un désastre et un gâchis énormes qui se paieront cher.

La politique aussi a horreur du vide

Les décisions de la LCR puis du PCF d’empêcher la candidature commune de se réaliser ont abouti à priver d’une perspective alternative des millions et millions de gens qui s’étaient mis à croire en notre dynamique contre le libéralisme.

Un grand nombre d’entre eux n’ont alors plus vu d’autre choix que : d’éliminer Sarkozy dès le premier tour ou d’assurer à tout prix la présence de Ségolène Royal au deuxième tour avec le bulletin Royal ou Bayrou. D’autres sont retournés au vote socialiste sans gaieté de cœur. D’autres sont allés chez Bayrou pour le changement. D’autres encore ont pu bifurquer chez Sarkozy trouvant en lui un système sécurisant à travers les thèmes du mérite et de l’identité nationale. Oui, cela a touché des électeurs déçus par la gauche et des jeunes. Beaucoup de jeunes étaient, c’est vrai, anti-Sarko, mais beaucoup aussi étaient pro.

Comme élu de quartiers populaires, j’ai rencontré tous ces cas de figure, toutes ces évolutions électorales de la part de citoyens ayant trouvé le chemin de l’antilibéralisme au référendum, puis l’ayant perdu de vue par la force des choses. Il n’y a pas que la nature qui a horreur du vide, c’est le cas aussi de la politique et des citoyens. Pour moi, c’est sûr, le scénario que nous avons connu le dimanche 22 avril 2007 aurait pu être tout autre ; et peut-être celui où la gauche antilibérale unie serait arrivée deuxième ou troisième au premier tour.

Aucune force de gauche ne peut crier victoire. La LCR montre ses muscles. Mais si elle sauve ses meubles, elle est accompagnée par la chute de LO. Les vases communicants des deux formations enregistrent un recul de 850 000 voix. Bien sûr, le journal L’Humanité dimanche s’empresse de caractériser le score de José Bové de « cinglant échec » ; celui du PCF est seulement qualifié de « décevant » pour une perte de 40 % des suffrages par rapport à 2002 où Robert Hue avait déjà enregistré une chute de 60 % par rapport à son score précédent. Tout cela est dérisoire quand on oublie ce que le peuple aurait pu gagner grâce à un bon résultat réalisé dans l’unité. Personne ne peut être sûr que Sarkozy serait aujourd’hui président de la République et, en tous les cas, que son projet de société aurait provoqué autant d’adhésion.

Le désir d’une force nouvelle

Notre résultat, avec 1,32 % et 483 000 voix, est décevant mais il ne peut effacer ce qui a cherché à s’exprimer et à naître dans cette campagne. Plus exactement, c’est parce que nous savons tout ce que nous avons produit en très peu de temps que nous sommes déçus par le score.

Nous sommes probablement la candidature qui a le plus payé le vote utile. Par exemple, l’accueil incontestablement extraordinaire fait à José dans les quartiers populaires révélait, c’est vrai, un phénomène d’identification à ses combats courageux, mais signifiait aussi une véritable revanche sur les insultes, les stigmatisations, les contrôles à répétition du ministre de l’Intérieur. A-t-on mesuré à quel point la trouille de Sarkozy était intense pour que l’on entende un an avant cette élection certains dire : « En cas de duel Sarkozy - Le Pen, je voterai le Pen » ?

« Le tout sauf Sarkozy » a bénéficié électoralement à celle ou celui (Royal ou Bayrou) qui semblait le mieux à même d’éviter le danger Sarkozy, ressenti comme un danger personnel. On aurait tort de déduire de tout cela qu’il n’y a pas dans les quartiers populaires besoin d’une nouvelle force politique et d’un nouveau projet.
Et puis surtout, pour convaincre et pour gagner des voix, il nous fallait en très peu de temps installer la crédibilité de notre candidature. Pendant le premier mois de campagne, beaucoup de gens pensaient que nous n’aurions pas les 500 signatures. Notre candidature était alors présentée comme une candidature supplémentaire de division et de dispersion. Et puis, pour la très grande majorité des gens, il n’est pas spontanément évident qu’un paysan syndicaliste, de surcroît ayant fait de la prison, puisse prétendre devenir président de la République.

Il reste que, si 483 000 voix c’est beaucoup trop peu pour devenir président, c’est très important pour contribuer à faire émerger une nouvelle force. On peut avancer l’hypothèse que le dénominateur commun entre ces 483 000 électeurs, c’est d’avoir résisté au « vote utile » et d’avoir écarté la question de la crédibilité pour faire prévaloir le désir de cette force nouvelle en politique. Ne négligeons pas cette hypothèse. Personnellement, je pense qu’il nous faut absolument être, malgré notre déception, à la hauteur de l’espérance de ces 483 000 citoyens, que l’on aurait peut être pu multiplier par deux, trois ou quatre s’il n’y avait pas eu l’enjeu des présidentielles dans les conditions d’aujourd’hui.

Un vrai « trésor de guerre »

Nous avons mené une campagne dans l’urgence, sans s’y être préparé, sans l’avoir pensé au préalable, sans moyens, sans équipe rodée et se connaissant, sans organisation. En quelque temps, nous avons surmonté tous les obstacles et nous avons atteint la barre des 500 signatures, malgré les chausse-trappes et les consignes de tous les partis et grâce à une incroyable motivation de plusieurs centaines de citoyens inexpérimentés en la matière.
Nous avons mené campagne dans 89 départements, dans les DOM et les TOM. Des affiches ont été collées et des tracts distribués dans les coins les plus reculés et inattendus sans que l’on en connaisse toujours très bien la traçabilité. Nos 21 porte-parole ont sillonné la France. 250 meetings ont été tenus. Plus d’une trentaine avec 1 millier de participants parfois 2, 3 ou 4 mille. Des meetings avec un public toujours attentif, enthousiaste, malgré parfois un manque total de savoir-faire et d’organisation. À chaque fois, le public représentait une très grande diversité, de catégories sociales, de générations et d’origines, chose assez rare en politique ! À noter que, dans de nombreux cas, la participation était supérieure à ce qui avait été réalisé lors des meetings unitaires du référendum. A-t-on déjà vu cela se créer en politique en si peu de temps ?

Et puis, surtout, nous avons un vrai trésor de guerre. Non je ne parle pas d’argent puisque, si nous avons collecté 140 000 euros, il nous faut en trouver encore 127 500 pour équilibrer nos comptes. Le trésor de guerre en question, ce sont ces quelque 500 comités et groupes qui ont mené la campagne. Une partie de ceux-ci était issue des collectifs unitaires antilibéraux. Chacun s’accorde à dire que la participation était plus large, plus diverse, plus jeune, plus colorée et que les réunions y étaient plus intéressantes, détendues et ouvertes. Une autre partie de ces comités s’est créée de toutes pièces au fur et à mesure que la campagne se déroulait. Ces derniers avaient souvent les mêmes caractéristiques que les premiers, mais parfois, ils n’ont pas eu le temps de s’ouvrir à d’autres sensibilités et mouvances.

Des idées et des pratiques totalement nouvelles

Nous avons dit que la force que nous constituons était une force unitaire. Nous savons bien que si cela peut se proclamer, cela ne se décrète pas. Qu’en est-il au terme de ces deux mois de campagne ? Des milliers et des milliers de militants ou d’anciens militants d’appartenance ou de sensibilité communiste, écologiste, LCR, alternatif, Alternative citoyenne, socialiste, associatif, syndicaliste ont fait la démonstration qu’ensemble et avec beaucoup d’autres non encartés (dont certains se revendiquent électrons libres) ils pouvaient agir, décider et construire.

L’acquis - peut-être le plus prometteur de cette campagne- c’est aussi d’avoir défendu l’idée des traits d’union entre les quartiers populaires et le rural, entre les urgences écologiques et les urgences sociales, entre les luttes et les urnes (entre le mouvement social et le politique) entre le local et le mondial. N’est ce pas de ces traits d’union que peut naître un véritable projet de transformation sociale ? Un projet qui ne serait pas l’illusoire addition de revendications particulières, mais un projet qui naîtrait des tensions ente celles-ci pour aboutir à une fusion dans un intérêt général s’attaquant aux racines du libéralisme.

Nous avons porté ces idées « de trait d’union » pendant un mois. Un mois, ce n’est vraiment pas beaucoup pour des idées totalement nouvelles et à contre-courant qui disent que les solutions ne sont pas dans les divisions, les communautarismes, les cloisonnements, les œillères, les replis sur soi, sur le groupe ou le parti ; mais dans la coopération, l’échange et le partage. Les comités ont non seulement défendu ces idées, mais ont commencé à en faire des pratiques nouvelles. C’est sûr, on se comprend mieux qu’auparavant. Et ce n’est pas pour rien dans la volonté qui semble s’affirmer de vouloir continuer et rester ensemble. Tout cela a permis des rencontres qui ne s’étaient jamais faites auparavant, notamment dans les quartiers populaires avec les collectifs immigration banlieue, entre des militants qui ne s’étaient jamais parlé et parfois même se considéraient comme étrangers, voire adversaires.

Oui, la campagne Bové a permis des rapprochements, des découvertes, mais aussi des frottements, parfois même des étincelles au plan local comme au plan national. Mais cela vaut mieux que toutes les indifférences. Bien sûr, nous avons eu peu de temps et le temps est absolument indispensable pour que des révoltes qui se tournent le dos depuis si longtemps se parlent et se comprennent, pour que des combats divers se côtoient, convergent, s’épaulent et s’enrichissent mutuellement, pour que des approches et des solutions différentes parfois divergentes se confrontent, se complètent et se transforment.

Peut-on prétendre changer la société, en avoir le projet sans ces nouveaux comportements politiques qui sortent des intérêts de chapelle ? Imaginons qu’au lieu de faire cela dans l’urgence pendant un mois, cela se fasse dans la durée, dans la réflexion avec la prise de décisions partagées démocratiquement, en donnant naissance à des pratiques de plus en plus assurées et inventives...

Un mouvement à géométrie variable

Je pense que cela aide aussi à comprendre l’état d’esprit qui règne dans beaucoup de comités.
Il y a la volonté de préserver cela et de le protéger vis-à-vis des partis politiques ou de telle ou telle ambition jugée - à tort ou à raison personnelle - (c’est-à-dire ne rejoignant pas nécessairement l’intérêt général). Parfois, certains interprètent cela comme un signe d’anti-parti. (Il faut reconnaître que la LCR et le PCF l’ont bien cherché.) Il ne faut pas s’y résigner mais c’est un fait. Et puis, surtout, l’investissement de toutes ces personnes dans la campagne et dans les comités exprime un vrai désir de faire de la politique autrement, en s’émancipant des partis politiques. Et l’expérience faite à cette occasion étant plutôt concluante et stimulante, on comprend que dans beaucoup de comités s’exprime le refus de revenir en arrière avec la présence de militants qui représenteraient officiellement leurs partis et munis en quelque sorte d’un droit de tutelle, voire de veto ou d’envahissement. Cela n’a rien à voir avec la reconnaissance, il me semble nécessaire, du droit à la double appartenance.

En fait, notre bataille pour l’unité est essentielle, elle est constitutive de tous nos actes y compris, évidemment, malgré les difficultés pour les élections législatives. Elle est multidirectionnelle. C’est une force qui cherche passionnément le partage. Elle a pour objectif l’unité des forces politiques de la transformation sociale, mais elle ne conditionne pas la pratique unitaire à la réalisation de cette unité politique. Nous ne reconnaissons pas aux partis politiques le pouvoir d’empêcher l’unité. Nous commençons à la réaliser en réunissant la diversité des sensibilités et en travaillant à jeter les passerelles entre la multitude des combats, des histoires, des cheminements et des histoires individuelles et collectives sans abandonner l’objectif de l’unité.

Peut-on imaginer un nouveau mouvement politique avec un projet commun d’émancipation et mille et un programmes et mille et un combats ? Un mouvement à géométrie variable où l’on pourrait rentrer, se servir, apporter, en sortir et y revenir. Un mouvement existant au travers de ses collectifs locaux, autonomes, se coordonnant aux plans départemental et régional, se dirigeant au plan national à travers la participation dominante des représentants des comités locaux et à travers des formes de direction et d’animation faisant prévaloir la collégialité et la rotation. L’élection présidentielle vient de montrer que, face au libéralisme, le social-libéralisme n’apporte pas de solutions ni de réponses convaincantes et mobilisatrices. Le moindre que l’on puisse dire, c’est que les forces antilibérales éparpillées, non plus ! J’espère que les assises de l’automne nous donneront l’intelligence d’inventer et de construire ce mouvement.

Trois remarques pour terminer, plus personnelles. Je n’ai pas demandé à être directeur de campagne, je ne le souhaitais pas, il en fallait un, j’ai fini par accepter cette responsabilité moi aussi dans l’urgence et dans l’impréparation. C’est donc bien volontiers que j’assume mes propres insuffisances. En même temps toutes les erreurs, les incompétences, comme les prouesses sont les nôtres, avec nos qualités et nos défauts individuels. Pour ma part, je ne regrette pas du tout cette campagne, ce qui me fait le plus enrager, c’est le fait d’avoir travaillé dans l’urgence, le manque de temps. La méconnaissance, au départ des uns et des autres, empêchant d’être suffisamment attentifs à chacune et à chacun pour l’aider à prendre toute sa place afin d’en faire profiter la campagne. Le manque le plus important c’est de ne pas avoir été suffisamment à la hauteur des exigences démocratiques et de transparence qui se sont exprimées. A mon sens, c’est un vrai sujet de réflexion pour un mouvement comme celui que nous voulons construire : comment diversité des points de vue, nécessaire réactivité à l’actualité et prise de décision démocratique et transparence peuvent-ils fonctionner sans déléguer ce pouvoir à quelques-uns ? Ce qui m’a le plus ennuyé, ce sont les a priori. Pour certains, les autres étaient obligatoirement suspects.

Je comprends d’où viennent les méfiances, notamment vis-à-vis des militants politiques. Mais, on ne construit rien dans la méfiance, il faut plutôt partir de l’a priori de la confiance afin de libérer les talents pour construire vraiment ensemble.

Souvent, j’ai été interpellé sur le courage et la prise de risque que constituait, pour un communiste, le fait d’avoir accepté d’être le directeur de campagne de José Bové. Je veux dire très franchement que, pour moi, la politique devrait être systématiquement synonyme d’une prise de risques pour ses idées. Il ne faut pas s’habituer à ces dirigeants politiques -il en existe aussi dans mon parti- dont le métier est d’éviter les idées différentes et de guetter le sens du vent dominant pour adopter l’idée moyenne.
Et puis, question prise de risques, José Bové nous en donne un bel exemple. Merci à lui.

Jacques Perreux

Notes

[1] Jacques Perreux est Conseiller général communiste du Val-de-Marne.

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