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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 09:54

Etre interviewé, jeudi soir sur TF1, par neuf Français « ordinaires » n'a fait qu'ajouter au confort rhétorique du Président.

Nicolas Sarkozy dans "Paroles de Français" (TF1).

Le président Sarkozy, ancien avocat, est un habile rhéteur. Mais, il est aisé, en prenant un peu de recul, de démonter quelques ficelles rhétoriques utilisées, et décortiquer les mécanismes concrets de son argumentation, faite de roublardises de prétoire, parfois de mensonges.

S'attribuer une mesure et son succès

« Lorsque j'ai créé le fichier d'empreintes génétiques pour les délinquants sexuels, souvenez-vous en 2003 le scandale que cela a fait. Aujourd'hui, on retrouve un coupable de viol sur deux ! »

Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) a en fait été créé en 1998 par la loi Guigou (garde des Sceaux du gouvernement Jospin) relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. La loi pour la sécurité intérieure de 2003 à laquelle Sarkozy fait ici allusion a permis d'étendre ce fichier génétique à toutes les personnes à l'encontre desquelles il existe « des raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis une infraction ».

En aucun cas, donc, il n'a « créé » ce fichier contre les délinquants sexuels, et en aucun cas le tollé que cette disposition a effectivement causé à l'époque n'était lié au fait de prendre les empreintes génétiques des délinquants sexuels.

Il s'attribue donc mensongèrement la paternité d'une mesure prise avant lui, en l'associant à un climat de scandale qui portait sur autre chose, et en enchaînant avec un « aujourd'hui », il fait un lien explicite entre le succès annoncé après (un viol sur deux élucidé) et la mesure, tout en sous-entendant que les belles âmes qui auraient alors protesté avaient bien tort car sa mesure est efficace.

Effacer ce que l'on a dit en jouant sur l'émotion

Extrait d'un reportage. Marc Fricoteaux, juge au tribunal de grande instance de Nantes, déclare :

« Voir accusés nos collègues, qui ont dénoncé le manque de moyens pour ne pas pouvoir assurer le suivi comme il le fallait, c'était tout à fait intolérable. Et je crois qu'il y a là une exaspération. C'était je crois, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. »

Nicolas Sarkozy commence par saluer l'action des juges dans leur ensemble. Puis :

« Ce magistrat, et c'est parfaitement son droit de le dire, dit : “ Ah, quand même le président de la République a dit : ‘S'il y a une faute, elle doit être sanctionnée.’” Il a raison : c'est ce que j'ai dit. […].

Et j'ai répondu aux parents de Laëtitia, je vous promets, je vais voir précisément ce qui s'est passé et s'il y a des fautes, il y aura des sanctions. »

Ce qu'a dit le juge n'est pas du tout la façon dont Nicolas Sarkozy en rend compte. Car « voir accusés » est une assertion. Dans la bouche du magistrat, cela repose sur l'idée que l'accusation a effectivement été prononcée, et non pas qu'elle est hypothétique, à venir.

Pourtant Nicolas Sarkozy rapporte les propos bien autrement : « S'il y a une faute, elle devra être sanctionnée. » Voici exactement ce que le président de la République avait déclaré la semaine précédente :

« Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c'est la règle. »

Factuellement, il n'a donc pas émis une hypothèse, il a bien porté une accusation (« c'est une faute ») et l'annonce de la sanction est faite au futur et non au conditionnel. C'est justement le fait de condamner, avant même les résultats de l'enquête interne, qui a choqué les magistrats.

Double mensonge rhétorique

Nicolas Sarkozy, qui a manqué de prudence en annonçant une sanction à venir, cherche ici à rattraper le coup, en effaçant des mémoires la réalité de ses propos. Il réintroduit la notion d'hypothèse : s'il y a faute, il y aura sanction. Pour ce faire, il a recour à un ressort émotionnel : son propos n'est que la traduction publique du serment qu'il a fait aux parents de la victime. Et il met dans la bouche du juge interviewé la confirmation de sa tournure prudente (alors qu'il n'a jamais dit ça) : « Il a raison, c'est ce que j'ai dit. »

On est face à un double mensonge rhétorique : ce n'est pas ce que le juge a dit, ce n'est pas ce que Nicolas Sarkozy avait dit. Et un peu après, en conclusion d'un long rappel des faits concernant l'assassin présumé de Laëtitia, il assène une dernière fois sa reformulation en prétendant qu'il ne fait que confirmer :

« Donc, je confirme, s'il y a eu dysfonctionnement, il y aura responsabilité, et le responsable aura à en répondre dans le cadre des procédures. »

Induire une idée via des faits qui n'ont rien à voir

Le passage sur Laëtitia est riche d'astuces rhétoriques :

« Pour moi, ce qui fait déborder le vase, c'est cette jeune Laëtitia, violée par un récidiviste, assassinée par un récidiviste, découpée en morceaux par ce même récidiviste, s'il s'avère que c'est bien lui, les charges pesant sur lui étant très lourdes. Vous voyez, moi je suis plus choqué par ça que par toute autre chose. […]

Je veux d'abord aller à l'essentiel. Qu'est-ce qui s'est passé avec Laëtitia ? Ça intéresse les gens de savoir ça. C'est pas rien. Un monsieur, qui avait déjà violé, qui avait passé onze années en prison, est relâché, après sa peine, ce qui est normal, sans que personne ne le suive ! Et ne s'occupe de lui ! Personne ! Ce même monsieur, au même moment où sa compagne dépose au commissariat de police une plainte pour tentative de meurtre et viol, on ne le recherche pas. […] Soit l'enquête conclut que tout s'est bien passé (circulez, y a rien à voir).

C'est la fatalité ? Je peux pas l'accepter ! Je peux parfaitement comprendre la fatalité d'un homme qui n'a jamais violé et jamais tué et qui tout d'un coup commet l'irréparable. Ça, qui pouvait prévoir ? Mais il avait déjà violé, il avait déjà un passé judiciaire ! Donc je ne peux pas accepter qu'on me dise… [changement d'idée en cours d'énoncé] »

Oui, Tony Meilhon est un récidiviste. Oui, il a été condamné pour un viol commis en 1997, à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Il avait alors 16 ans. Tel que Nicolas Sarkozy le raconte, on peut croire que le violeur mis en examen dans l'affaire Laëtitia est donc un délinquant sexuel qui s'est déjà attaqué à des femmes par le passé.

Or, les faits pour lesquels il a été condamné n'ont rien à voir avec cette association d'idée induite par le propos de Nicolas Sarkozy. Dans un foyer pour mineurs, en compagnie de deux codétenus, ils ont introduit un manche à balai dans l'anus d'un quatrième détenu mineur afin de le punir d'être ce que l'argot des prisons nomme un « pointeur » (des détenus inculpés pour des affaires de mœurs, pédophilie notamment).

Cet acte de torture est une punition contre des délinquants sexuels pédophiles qui sont victimes de l'opprobre en prison depuis très longtemps, comme Jean Genet par exemple a su le décrire. Car même les taulards se considèrent comme régis par un certain code de l'honneur, dans lequel figure le droit de martyriser ceux qui se sont sexuellement attaqués à des enfants, jugés des êtres faibles et incapables de se défendre.

« Il avait passé onze années en prison. » Dans le contexte énonciatif, on peut penser qu'il s'agit de onze années pour des faits de viol. Or, il n'a purgé pour cette affaire que trois ans, et les autres années sont liées à divers délits, essentiellement des attaques à main armée et une agressivité vis-à-vis des autorités de police et de justice (« rébellion », « outrage »…).

L'affaire Meilhon, fatalité que Sarkozy « peut comprendre »

Toujours dans le même contexte, le propos de Nicolas Sarkozy, par contiguïté des énoncés, laisse croire que, après ces onze années de prison pour délinquance sexuelle supposée, il a été mis en liberté sans suivi pour être soigné de ses pulsions.

Or, les faits ont été commis il y a plus de douze ans, la peine purgée pour cela il y a bientôt dix années. La justice a manifestement affaire à un être violent, pas à un délinquant sexuel récidiviste.

Quant à la plainte déposée par son ex-petite amie, elle date du 26 décembre 2010, et la disparition de Laëtitia date du 18 janvier. Si l'enquête concluait à l'absence totale de toute tentative de le retrouver, suite à cette plainte, il faut quand même noter qu'il ne s'est écoulé qu'une vingtaine de jours et qu'il est courant de voir des enquêtes et recherches s'enclencher en plus de temps.

Enfin, le motif de la plainte n'est pas celui énoncé par Nicolas Sarkozy, qui charge la barque pour renforcer sa démonstration : « Une plainte pour tentative de meurtre et viol. » Il s'agit en réalité d'une plainte pour « menace de mort » et « agressions sexuelles ». Très agressif avec sa compagne et encore après qu'elle soit devenue son ex-compagne, Tony Meilhon n'a pas accepté la rupture et lui a annoncé : « Je vais te tuer ! Je vais tuer ton fils ! Et j'irai tuer ta mère à Fougères [Ille-et-Vilaine] et je vais me tuer après » et « Il a répété ces menaces une dizaine de fois en quinze jours », ajoute-elle dans une interview au Parisien.

Elle n'a donc pas porté plainte pour meurtre, comme l'affirme Nicolas Sarkozy, mais pour des menaces. Ça ne le rend pas plus sympathique, mais cela relativise la gravité de la faute que Nicolas Sarkozy impute aux juges et aux policiers. Ce n'était pas un violeur récidiviste ni un assassin recherché suite à une plainte pour meurtre. En matière d'homicide, il n'était encore jamais passé à l'acte. Il est donc tout à fait dans le cadre « d'un homme qui n'a jamais tué et qui tout d'un coup commet l'irréparable », ce que Nicolas Sarkozy « peut parfaitement comprendre » selon ses propres dires…

Anaphores émotionnels

Le début de son propos sur cette affaire est fait d'anaphores, de cette répétition du même terme pour donner une sensation d'accumulation à l'auditeur. « Récidiviste » est ainsi répété trois fois de suite, pour montrer justement à quel point il a fait, refait, récidivé.

Ces anaphores introduisent en plus une série de trois crimes (viol, meurtre et découpage du corps) qui sonne comme une surenchère dans l'horreur et qui vise évidemment à provoquer émotion et compassion pour mieux faire ensuite passer son argumentaire.

Symétrie argumentative

Ensuite, la mise en exergue de sa posture « moi, je » est une opposition explicite à un autre (ici, le juge dont on a livré un extrait). Et il affirme qu'il est « choqué » par ce crime atroce, ce qui revient à sous-entendre que le juge, lui, ne l'est pas. Il s'oppose à lui en disant que ce qui a fait déborder le vase pour lui, c'est le crime.

Il construit donc une représentation des positions en jeu ainsi :

  • lui, est choqué par le crime ;
  • le juge et ses collègues sont choqués par ses seuls propos.

C'est aussi une façon de démonétiser la contestation des juges, en affirmant que leur protestation est moins légitime que la compassion avec un drame effroyable.

Un shérif capable de régler les problèmes

Sur un plan rhétorique, il est intéressant de noter que Nicolas Sarkozy ne va pas jusqu'au bout de la symétrie argumentative qu'il initie.

« Un homme qui n'a jamais violé et jamais tué et qui tout d'un coup commet l'irréparable. […] Mais il avait déjà violé, il avait déjà un passé judiciaire. »

Sachant que se laisser aller à affirmer que Tony Meilhon avait déjà commis un meurtre lui reviendrait en boomerang, il commence un parallèle – viol/viol – puis est obligé de nuancer son parallèle – tué/passé judiciaire. Ce qui d'un strict bon sens ne signifie rien, du coup. Vous pouvez avoir un passé judiciaire pour grivèleries, escroquerie, attentats à la pudeur, par exemple, cela ne fait de vous un tueur en puissance qu'il faudrait particulièrement surveiller.

Mais il faut dresser de cet individu un portrait monstrueux, aussi bien avant qu'après le crime, de façon à justifier ses accusations de faute qui lui permettent alors de donner des coups de menton et de surfer sur l'émotion pour s'afficher comme un shérif capable de régler les problèmes.

L'art de jongler avec les chiffres de la Justice

« Sur les moyens. Quel est le seul ministère, qu'avec le Premier ministre nous avons exonéré du non remplacement de un sur deux ? La justice avec l'université.

J'ai amené les chiffres. Je voulais que ce soit précis. Entre 2002 et 2010, le nombre de magistrats est passé de 7 300 à 8 510. Une augmentation de 16%. Les effectifs de greffiers sont passés de 8 700 à 10 700. Une augmentation de 22%. Et quant aux personnels d'insertion, leur nombre a augmenté de 143%.

Cette année même, le budget de la Justice : augmentation 4,3%. Donc tout n'est pas qu'une question de moyens ! »

Reprenons ces données chiffrées afin d'en tester la véracité et la fiabilité.

Si on prend les chiffres fournis par le ministère de la Justice lui-même (ici et ici, documents PDF), on constate d'abord que leur propre décompte annuel d'un rapport à l'autre n'est pas totalement similaire. Mais surtout on ne retrouve pas du tout les chiffres donnés par le Président, et à chaque fois son estimation semble plus haute quand cela arrange sa démonstration.

Dans ce dédale de chiffres pas toujours parfaitement ajustés on cherche donc, en 2002, 7300 magistrats. On les trouve, mais en 2003, 7 294 magistrats des services judiciaires. Ce doit être cela.

En revanche, impossible de retrouver les 8 510 annoncés. Sur la même ligne qu'en 2003, ne figurent, en effet, en 2009, que 7 893 magistrats. Et on peut ajouter que le mouvement ne va pas à la hausse, puisque la loi de finances pour 2011 prévoit la disparition de 76 postes de magistrats.

Tableau des créations d'emplois de magistrats de 2003 à 2010 (ministère de la Justice).

Ci-dessus, dans le tableau récapitulatif des emplois dans le projet de loi de finances 2011, on va retrouver des données aussi un peu différentes. En 2002, il y avait 7 005 magistrats en activité (et un peu plus de 300 ailleurs). Là, cela nous donne aussi les 7 300 annoncés. Rien de tel en revanche en 2010. Le nombre de magistrats en activité est de 8 258 (pas assez) ou, avec ceux affectés à autre chose, on arrive à 8 619 (trop).

Pour les greffiers, pas d'ambiguïté possible a priori, ils ne figurent tous que sur une seule ligne comptable, avec des effectifs assez constants. En 2002, ils étaient 9 135 (un an auparavant, ils n'étaient que 8 499 en revanche). Le chiffre de 8 700 présenté comme celui de 2002 n'est donc peut-être plutôt que celui de 2001. En 2009, ils n'étaient que 10 236, chiffre le plus bas depuis 2005 et qui tend donc à s'éloigner des 10 700 revendiqués, même si un effort est consenti dans le budget 2011 avec l'annonce de la création nette de 399 postes. Ces créations s'obtiennent en partie par redéploiement (baisse du nombre de magistrats et perte de 196 postes de personnels administratifs et techniques).

Nicolas Sarkozy face à Jean-Pierre Pernaut et les neuf Françias du panel de TF1.

Pour ce qui concerne les personnels d'insertion, il y a en effet eu un gros effort de recrutement fourni, mais il faut y apporter des bémols comme la Cour des comptes l'a fait dans son rapport (document PDF) sur « Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale », de juillet 2010. Elle souligne que compte tenu de la masse nouvelle de tâches et de nouveaux délits ajoutés dans les lois successives sur la délinquance, le nombre de dossiers par conseillers d'insertion n'a pas diminué en moyenne.

« Les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) s'établissaient au 1er janvier 2009 à 3 747 agents (soit plus du double de leur nombre en 1998 à leur constitution).

Les recrutements n'ont cependant pas éteint toutes les difficultés relevées par la Cour en 2006. Nombreux sont ainsi les Dspip à souligner, dans leur rapport d'activité annuel, la précarité des recrutements de vacataires opérés entre 2006 et 2008.

Les fonctions de conseillers d'insertion et de probation (CIP) ont bénéficié d'un effort de recrutement soutenu depuis 2006. Ainsi, les promotions formées à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (Enap) sont deux à trois fois plus importantes que celles du début des années 2000. Ces recrutements n'ont cependant pas permis de faire diminuer le ratio des mesures suivies par CIP. En effet, le nombre de mesures en milieu ouvert et en milieu fermé n'a cessé de croître. Le ratio de personnes suivies par un conseiller était ainsi de l'ordre de 84 en 2009 contre 80 environ en 2006. »

Alors même que la tradition française d'interview journalistique du président de la République est souvent marquée au sceau de la déférence, on peut constater sans peine que d'être interviewé par un Français « ordinaire » ne fait qu'ajouter au confort rhétorique de Nicolas Sarkozy.

Il ne trouve aucun interlocuteur en face de lui pour oser vraiment contester sa parole, et surtout pour avoir les bagages techniques et d'information requis pour pouvoir, en pleine émission, contester les données exposées dans leur réalité ou dans leur agencement argumentatif.

 

Source: http://www.rue89.com/2011/02/11/paroles-de-francais-la-rhetorique-de-sarkozy-dissequee-190068

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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 09:45
Georges Corm
 

 

A partir de la Tunisie, la divine surprise qui a touché la rive sud de la Méditerranée n'est pas aussi simple qu'elle peut apparaître de prime abord. Elle n'est évidemment pas issue de l'Irak. Envahi par l'armée américaine en 2003, sous prétexte de supprimer un tyran et d'y établir une démocratie, l'Irak a, au contraire, connu une involution outrageante dans le communautarisme et l'ethnisme, assortie d'une paupérisation encore plus grave que celle amenée par treize années d'embargo économique onusien, implacable sur ce malheureux peuple.

La surprise n'est pas plus venue du Liban, où, en 2005, la "révolution du Cèdre", appuyée par l'Occident, n'a servi qu'à aggraver le communautarisme et les dissensions internes. Une commission d'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri, puis la constitution du Tribunal international spécial pour le Liban n'ont fait que jeter encore plus le trouble entre les deux grandes communautés musulmanes du pays (sunnite et chiite) et aggraver les dissensions internes.

L'attaque israélienne d'envergure de 2006 sur le sud du pays pour éradiquer le Hezbollah n'aura pas non plus été les "douleurs d'enfantement" du nouveau Moyen-Orient de George Bush, suivant les termes scandaleux employés à l'époque par Condoleezza Rice, sa ministre des affaires étrangères. En bref, tous les essais d'imposer la démocratie de l'extérieur n'auront eu pour effet que d'aggraver les tensions et instabilités de la région.

En revanche, c'est un pauvre Tunisien désespéré socialement et économiquement qui, en s'immolant par le feu dans une zone rurale, déclenche la vague de protestations populaires qui secouent le sud de la Méditerranée. Les immolations par le feu se multiplient.


Dans cette vague, il faut bien identifier l'alchimie qui en a fait jusqu'ici le succès : de fortes revendications d'équité sociale et économique, couplées à l'aspiration à la liberté politique et à l'alternance dans l'exercice du pouvoir. Soutenir uniquement la revendication politique que portent les classes moyennes et oublier celle de justice et d'équité socio-économique que portent les classes les plus défavorisées conduira à de graves désillusions. Or, le système qui a mené au désespoir social est bien celui de "kleptocraties" liant les pouvoirs locaux aux oligarchies d'affaires qu'ils engendrent et à des grandes firmes européennes ou à de puissants groupes financiers arabes, originaires des pays exportateurs de pétrole. C'est ce système qui a aussi nourri la montée des courants islamistes protestataires.

 

La vague de néolibéralisme imposée aux Etats du sud de la Méditerranée depuis trente ans a facilité la constitution des oligarchies locales. La façon dont ont été menées les privatisations a joué un rôle important dans cette évolution, ainsi que les redoutables spéculations foncières et le développement des systèmes bancaires, financiers et boursiers ne profitant qu'à cette nouvelle oligarchie d'affaires. Or, de nombreux observateurs ont naïvement misé sur le fait que ces nouveaux entrepreneurs seraient le moteur d'un dynamisme économique innovant et créateur d'emplois qui entraînerait l'émergence d'une démocratie libérale.

 

La réalité a été tout autre. Le retrait de l'Etat de l'économie et la forte réduction de ses dépenses d'investissement pour assurer l'équilibre budgétaire n'ont pas été compensés par une hausse de l'investissement privé. Ce dernier était supposé créer de nouveaux emplois productifs pour faire face aux pertes d'emplois provoquées par les plans d'ajustement structurels néolibéraux et à l'augmentation du nombre de jeunes entrant sur le marché du travail. Le monde rural a été totalement délaissé et la libéralisation commerciale a rendu plus difficile le développement de l'agroalimentaire et d'une industrie innovante créatrice d'emplois qualifiés.

Face aux fortunes considérables qui se sont constituées ces dernières décennies, le slogan "L'islam est la solution" a visé, entre autres, à rappeler les valeurs d'éthique économique et sociale que comporte cette religion. Ces valeurs ressemblent étrangement à celles de la doctrine sociale de l'Eglise catholique. C'est pourquoi, si la question de l'équité et de la justice économique n'est pas traitée avec courage, on peut penser que les avancées démocratiques resteront plus que fragiles, à supposer qu'elles ne soient pas habilement ou violemment récupérées.

Au demeurant, les organismes internationaux de financement, tout comme l'Union européenne, portent eux aussi une certaine responsabilité. Les programmes d'aides ont essentiellement visé à opérer une mise à niveau institutionnelle libre-échangiste, mais non à changer la structure et le mode de fonctionnement de l'économie réelle. Celle-ci, prisonnière de son caractère rentier et "ploutocratique", est restée affligée par son manque de dynamisme et d'innovation.

Partout, le modèle économique est devenu celui de la prédominance d'une oligarchie d'argent, liée au pouvoir politique en place et aux pouvoirs européens et américains et à certaines grandes firmes multinationales. Le Liban en est devenu un modèle caricatural où des intérêts financiers et économiques servent à perpétuer des formes aliénantes de pouvoir en s'abritant derrière des slogans communautaires scandaleux tels que celui de "bons" sunnites opposés aux "dangereux" chiites.

 

Pour que les choses changent durablement en Méditerranée pour qu'un ensemble euro-méditerranéen dynamique, compétitif et pratiquant l'équité sociale puisse émerger, ne faut-il pas que la société civile européenne suive, à son tour, l'exemple de ce qui a été jusqu'ici dédaigneusement appelé dans les médias la "rue arabe" ? Qu'elle élève à son tour le niveau de contestation de la redoutable oligarchie néolibérale qui appauvrit les économies européennes, n'y crée pas suffisamment d'opportunités d'emplois et précarise chaque année un plus grand nombre d'Européens de toutes les nationalités. Cette évolution négative s'est, elle aussi, faite au bénéfice de la petite couche de "manageurs" dont les rémunérations annuelles accaparent toujours plus la richesse nationale.

Au nord comme au sud de la Méditerranée, ces "manageurs" soutiennent les pouvoirs en place et dominent la scène médiatique et culturelle. Il nous faut donc repenser en même temps le devenir non plus d'une seule rive de la Méditerranée, mais bien de ses deux rives et de leurs liens multiformes.

 

L'exemple de la rive sud devrait stimuler aujourd'hui sur la rive nord la capacité de penser sur un mode différent un autre avenir commun.


Ouvrage : "Le Nouveau Gouvernement du monde", (La Découverte, 2010).

Georges Corm, ancien ministre des finances de la République libanaise

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 15:52
 

Le conseil des ministres vient d'adopter un projet de réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte qui permettrait d’introduire l’extension de l'obligation de soin au-delà du temps de l’hospitalisation, c'est à dire y compris à domicile.

Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire dénonce vivement le contenu de ce projet sous tendu par une seule et unique idéologie : « les malades mentaux doivent être traités comme des délinquants et des récidivistes voire des criminels potentiels ».

Le soin en psychiatrie n'est pas une succession et un assemblage de techniques. C'est un mensonge de faire croire qu'une sélection de « bonnes pratiques » professionnelles reproductible d'une personne à une autre soulagera la souffrance de chacun. Chaque sujet est singulier et appelle à une proposition spécifique de soin.

Un dispositif gestionnaire, policier et sécuritaire se met progressivement en place depuis plusieurs années et tend à se substituer aux véritables soins dont les malades ont besoin.

Donner l'illusion de répondre à la détresse des malades et à l'inquiétude des familles par un système de contrôle permanent est une imposture qui ne fera qu'aggraver les conditions d'accueil des patients et de travail des soignants.

Nous dénonçons cette dangereuse dérive qui interdit toute possibilité de construire un projet sanitaire de qualité pour l'avenir qui tiendrait compte de la singularité des situations.

Le collectif demande le retrait immédiat de ce projet indigne et appelle à une mobilisation la plus large possible des patients, des familles, des professionnels, et des responsables politiques pour le faire abroger.

Article sur le site : http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=1278
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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 15:43

 

les Alternatifs

solidarités – écologie – féminisme – autogestion

Fédération des Alpes-Maritimes

38 rue Dabray - 06000 Nice

06@alternatifs.org 


 

Enquête publique PPRI de la basse vallée du Var

Contribution des Alternatifs des Alpes-Maritimes

 

Tout d'abord, nous tenons à noter la qualité du dossier soumis à enquête publique. Ce dossier est très documenté et très bien présenté. Les multiples remarques généralement justifiées formulées par les différentes « personnes publiques associées », confirment qu'il s'agit là d'une documentation facilitant la compréhension et la prise en compte du risque inondation.

 

Nous émettrons néanmoins deux types de remarques :

  • les premières concernant l'orientation qui sous-tend ce PPRI et qui est, de fait, un choix de politique d'aménagement ;

  • les secondes sur ce qui nous semblent êtres les principales lacunes « techniques » de ce plan.

 

I . Le choix « politique ».

Sur ce premier point, nous notons à travers la lecture de ce document qui se voudrait « technique », la volonté sous-jacente de faire de la basse vallée du Var une zone plus urbanisée qu'elle ne l'est actuellement.

Ce choix, loin d'être neutre, se fait d'ailleurs au prix de quelques contorsions sans doute difficiles pour les rédacteurs.

Nous notons en effet une contradiction de fond.

 

D'une part, il est rappelé au 1.1.1. comme une directive de l'État, citant la circulaire du 24 janvier 1994 : « interdire toute nouvelle construction dans les zones inondables soumises aux aléas les plus forts (…). Contrôler strictement l'extension de l'urbanisme dans les zones d'expansion de crues. Évitertout endiguement ou remblaiement nouveau qui ne serait pas justifié par la protection de lieux fortement urbanisés. »1

Cette position a été douloureusement confirmée à plusieurs reprises en 2010 (rupture des digues en Vendée, inondations du Var, Draguignan)

 

D'autre part,l'adaptation aux objectifs de l'O.I.N. que l'on trouve au 1.2.2., qui parle de « caractère stratégique de la basse vallée »pour des « opérations de nature à favoriser l'aménagement, le renouvellement urbain, le développement économique (...) ». Cette soumission est confirmée, toujours au 1.2.2., par la phrase : « Le présent PPR a pour objet d'y répondre ».

 

Tout est dit!.

On semble poser ici le caractère inéluctable de l'urbanisation de cette zone, l'objectif du PPRI devenant la protection de cette future zone urbaine, en pleine contradiction avec les affirmations citées plus haut

A partir de ce moment, l'étude est biaisée, une des préoccupations des experts devient d'étendre au maximum les zones blanches.

Difficile, dans ces conditions, de rappeler que d'autres choix sont encore possibles !

Non, l'urbanisation contre-nature par le bétonnage à outrance dans le lit et le delta d'un fleuve si redoutable n'est pas inéluctable.

L'avis rendu par une personnalité aussi modérée que monsieur Michel Vauzelle, président du Conseil Régional PACA le dit d'ailleurs très bien : « Nous pouvons noter que l'adaptation du PPRI au caractère stratégique du territoire est aussi de nature à favoriser l'urbanisation de la Basse Vallée du Var. Une autre orientation aurait été de ne pas s'adapter aux seuls enjeux économiques et fonciers et de s'appuyer sur le PPRI pour impulser une gestion raisonnée du territoire, dans l'esprit de la stratégie durable préconisée par le SRADT 2».

Pour notre part, nous souhaitons, dans une optique véritablement « durable » un plan qui prévienne bien entendu des risques... tout en rendant progressivement son caractère naturel au cours du Var dans sa basse vallée et son delta au lieu de les artificialiser encore d'avantage. Il s'agit aussi de retrouver le caractère méditerranéen du fleuve et de la richesse de sa terre.

Cette position est renforcée en particulier par :

  • le constat de l'importance biologique de ces lieux reconnus par Natura 2000 ;

  • la nécessité de préserver avec une priorité forte les terres fertiles pour les générations futures.

 

II . Les aspects « techniques ».

Une fois fait ce constat concernant la logique politique du Plan, qui pour nous remet en cause sa pertinence, nous observons des manques qui, même dans l'optique choisie par les rédacteurs, ne laissent pas d'inquiéter :

 

II . 1 . La question des vallons.

II . 1 .1 . Le problème du déversement des eaux des multiples vallons qui descendent des massifs encadrant le lit du Var nous apparaît sous-estimé. Le rehaussement et le renforcement des digues enserrant le Var font de l'espace situé à l'arrière des digues un bassin réceptacle idéal pour les eaux des vallons qui n'arriveraient pas à rejoindre le lit du fleuve. La présence d'embacles entraînées par la crue aggrave le problème. La prise en compte d'une urbanisation rapide (et qui continue) sur les hauteurs de Saint-Isidore en particulier sont de nature à modifier rapidement les régimes de ces vallons. Les conséquences de cette urbanisation des collines niçoises est certes difficile à modéliser, ce n'est pas une raison pour les éluder.

 

II . 1 . 2 . Remarquons en outre que la crue centennale de l'Estéron, estimée à 700 m3/s en 1994, n'a été retenue qu'à hauteur de 600 m3/s.

 

II . 2 . La question des interventions dans le lit majeur.

Plusieurs études, certes sommaires, mais récurrentes, prévoient plusieurs franchissements nouveau du fleuve dans sa basse vallée. Pour ne parler que des plus probables (mais ce n'est pas limitatif) : doublement de l'accès depuis la rive gauche à la D6202bis, traversée en rive droite de la voie ferrée des CP (Chemins de fer de Provence)3, nouvelle(s) liaison(s) routière reliant les deux rives entre la pont Napoléon III et le pont de la Manda.

Tous ces travaux nécessitent de grands travaux modifiant l'écoulement naturel des eaux. Nous ne voyons pas qu'ils soient pris en compte dans le Plan.4

 

II . 3 . La question du niveau des eaux marines.

Les hypothèses utilisées pour la modélisation des crues nous paraissent insuffisantes : le niveau des marées est sous-estimé, et l'impact d'une conjugaison de haute marées et de vents violents avec une crue importante n'est pas étudié.

Or ces phénomènes ne sont pas rares sur notre département. Il nous paraît nécessaire de compléter les études par une modélisation de la partie basse Saint Laurent du Var Cap3000 ainsi que l'impact en amont (Saint-Laurent-du-Var Mairie et CADAM-MIN) dans ce type de circonstances. D'autant plus que l'endiguement nouveau tendra à accélérer et concentrer le débit du fleuve lors de ces épisodes. Ceci est d'autant plus nécessaire que « la réalisation de digues entraînera très rapidement de nouveaux permis de construire comme l'a précisé M. le Préfet lors de l'inauguration de la Digue des Français »5.

 

Cette question ayant été posée lors d'une des réunions publiques consignée dans le dossier, il a été répondu qu'elle ne relève pas du PPRI, qu'elle fera l'objet d'un autre futur plan par une autre instance (et donc d'une autre enquête publique). Nous pensons au contraire que cette étude pourrait bien remettre en question les conclusions quand aux digues et zonages aux alentours du delta.

 

II . 4 . La question du prolongement des digues en mer.

Le périmètre délimitant l'O.I.N. ne s'arrête pas en bord de mer, mais déborde largement le milieu marin. Il s'agit de préserver la possibilité d'agrandissement du port de Saint-Laurent-du-Var, entrainant la construction de digues nouvelles, « canalisant » encore un plus plus l'ex-delta déjà mis à mal par la création de la zone commerciale de Cap 3000 dans les années 60.

 

Cette possible contrainte supplémentaire dans la phase capitale de rencontre des eaux fluviales et maritimes n'est pas non plus prise en compte dans ce PPRI qui a pourtant, comme nous l'avons souligné en première partie de notre contribution, choisi délibérément l'alignement sur les souhaits de l'État affirmés à travers l'O.I.N.

 

Or l'examen du périmètre du PPRI tel qu'il ressort des cartes, s'étend jusqu'au delta lui-même et aux abords des pistes de l'aéroport. Il est nécessaire d'examiner les conséquences des modifications de l'arrivée du fleuve en mer, avec son débit et ses apports, sur le plateau continental immédiat et les supports de l'aéroport. Rappelons qu'en 1984, lors des travaux de la 3ème piste, et suite à une crue d'intensité moyenne du Var, un éboulement sous-marin meurtrier s'était produit.

 

II . 5 . Le classement des digues

II . 5 . 1 . Le classement en digues persistantes de kilomètres d'ouvrages étend la surface de terrains devenant constructibles, aggravant ainsi le problème du coût du foncier. Le décret du 11 décembre 2007 introduit la prise en compte du nombre d'habitants concernés par la protection apportée par la digue. On est donc en droit de se poser la question de la pertinence d'appliquer les normes à la population actuelle, qui est appelée à augmenter de plusieurs dizaines de milliers d'habitants.

II . 5 . 2 . D'autre part, il suppose que le maître d'ouvrage apporte la garantie d'un entretien régulier, dans un contexte de forte réduction des capacités financière des collectivités territoriales concernées.

 

II . 5 . 3 . L'application de la « doctrine Rhône » à un fleuve côtier maralpin n'apparait pas adaptée.

II . 5 . 4 . Enfin, dernier point, le caractère de forts risques sismiques de la région n'a été pris en compte à aucun moment. Dans quelle mesure les digues résisteraient-elles à de fortes secousses ?

 

II . 5 . 5 . Nous préconisons donc de revoir le classement d'une partie des digues et de modifier la définition des aléas retenus, notamment en intégrant un séquencement plus adéquat des crues des vallons, la prise en compte de tempêtes.

 

Conclusions

 

Pour toutes ces raisons, nous demandons à messieurs les Commissaires enquêteurs, de donner un avis défavorableà ce PPRI en l'état.

 

A tout le moins, nous considérons que des études complémentaires doivent être faites sur ces points critiques et qu'une réponse doit leur être apportée. L'hypothèse d'un OIN installant une importante population sur cette vallée rendant encore plus important la réelle prise en compte de dangers potentiels, ce qui est l'objectif du PPRI.

La procédure de révision des PPRI approuvés (loi 2010-788 du 12 juillet 2010 Grenelle2 ; article 222) permet des modifications substantielles dans des délais restreints (pas d'enquête publique notamment). Dans le cas du PPRI de la basse vallée du Var les conséquences en termes d'aménagement et de bétonnage sont trop importantes pour permettre l'application de ce type de procédure.

 

Nous demandons qu'un nouveau Plan, prenant en compte d'autres options, plus respectueuses de l'environnement, pour l'aménagement de la basse vallée du Var soit établit et soumis à une nouvelle enquête publique.

 

 

Fait à Nice, le 7 février 2011

 

 

1- Et l'on comprend bien pourquoi, en lisant au 1.1.3. : « (…) les zones endiguées sont des zones soumises à un risque d'inondation où le risque de ruptures brutales ou de submersion des digues, avec des conséquences catastrophiques, demeure, quelque soit le degré de protection théorique de ces digues. (...)»

2Schéma régional d'aménagement durable du territoire

3Globalement, la voie ferrée des CP et la capacité de résistance des digues la supportant, sont trop légèrement traitées.

4L'on sait pourtant qu'ils réservent bien des surprises : voir le retard pris lors du chantier du franchissement pour la D6202bis quand, en creusant les fondations de la première pile côté rive gauche, les ouvriers mirent à jour une source souterraine de fort débit non prévue par les géologues.

5 Inaugurée lundi 5 juillet par les représentants de l'État et des collectivités locales cette digue de protection contre les crues du Var, doit permettre de préserver des inondations 8.000 habitants et 25.000 salariés de la partie ouest de Nice, zone dans laquelle se trouvent concentrés l'aéroport, le Centre administratif des Alpes-Maritimes (CADAM) et le marché d'intérêt national (MIN).

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 15:22
Si chacun apporte 10 euros

 

ON A LE BATEAU !

 

Au mois de mai prochain, une deuxième flottille de la liberté s'élancera pour briser le blocus de Gaza. Nous avons fait le pari qu'un bateau français se joindrait à cette initiative.


On a trouvé le bateau.

 

Si nous sommes 20 000 à trouver chacun 10 €, alors c'est simple, avec 200 000 € on peut l'acheter!

 

Première étape avant de le préparer au départ et d'acheter la cargaison.


Pour envoyer vos dons :

- par chèque libellé « MRAP – Un Bateau pour Gaza France », à envoyer à : Mrap, 43 boulevard Magenta, 75010 Paris ou à votre groupe local ou à l'AFPS 21 ter rue Voltaire 75011 Paris (en précisant au dos "un bateau français pour Gaza")

- ou bien télépaiement via le site : http://secure.mrap.fr/Un-bateau-pour-Gaza.html

Toutes les infos de la campagne
: http://www.unbateaupourgaza.fr/ ; http://www.france-palestine.org/article15994.html


--
Association France-Palestine Solidarité (AFPS)
21 ter Rue Voltaire 75011 Paris
Tél: 00.33.1.43.72.15.79
Fax: 00.33.9.56.03.15.79
afps@france-palestine.org
www.france-palestine.org

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 15:15


CherEs camarades,


Après la mobilisation sociale de masse en 2010 en France, les révoltes populaires dans plusieurs pays montrent la voie.
Nous nous sommes retrouvéEs dans les puissantes mobilisations de 2010, à la fois pour un refus sans concessions du projet du pouvoir, pour défendre la globalisation du mouvement et son auto-organisation, pour tenter d'articuler lutte de masse et débouché politique.
Le mot d'ordre "Qu'ils dégagent tous !" reste le nôtre.
Le potentiel d'une gauche de transformation sociale et écologique est réel, d’abord sur le terrain des luttes. Son socle électoral reste important. Enfin. sa bataille idéologique contre le néo-libéralisme a marqué des points.
La volonté de résister au rouleau compresseur capitaliste est forte et s'exprime dans la société. Elle doit peser dans le champ politique, avec l'exigence de décider ensemble, à la base, et de dépasser des divisions incomprises et sanctionnées électoralement.
Au sein du PS existent des secteurs de gauche, que nous avons retrouvés dans la bataille sur les retraites. Mais nous avons aussi vérifié à cette occasion que l'orientation social-libérale restait largement dominante au sein de ce parti, et bien ancrée chez ses dirigeantEs L'ensemble de l'autre gauche ne peut donc éluder la question de l'indépendance à l'égard du social libéralisme. La clarté s'impose : il n'y a pas de compromis possible avec des politiques comme celles menées par les partis socialistes au pouvoir aujourd’hui en Grèce, en Espagne et au Portugal et mises en oeuvre suite aux directives du FMI.
Pour les Alternatifs, c’est à l'aune d'un projet et d'un programme de rupture avec l'ordre libéral que doivent être envisagés les rapports avec le PS.
Le refus de la compromission, au nom du moindre mal, avec le social-libéralisme, nous est commun. Ce constat ne conduit pour autant en rien à renoncer à une bataille claire contre la droite et le FN.
Il est possible d'aboutir à une position commune de toute la gauche de gauche sur ces points. Et il est indispensable, pour passer de la défensive à l'alternative, d'avancer ensemble autour d'un projet social, écologiste, féministe et démocratique.
Des propositions, souvent convergentes, sont portées par les diverses forces politiques de la vraie gauche et de l'écologie radicale, comme dans les syndicats et associations, elles sont débattues dans les forums sur le projet partagé du Front de Gauche, elles naissent et s'expriment dans les mobilisations sociales, dans les alternatives concrètes.
Les Alternatifs gardent le cap du rassemblement large, aspiration largement partagée à gauche du PS, notamment par de nombreux/ses militantEs des partis du Front de Gauche comme du NPA.
Nous voulons avancer dans la constitution d’un bloc social et politique de TOUTE l’autre gauche, large, ouvert à toutes les composantes, aux citoyennes et citoyens, militantEs des mouvements sociaux, s’appuyant sur des collectifs unitaires et ancré dans les milieux populaires et la jeunesse. Un bloc social et politique pour les mobilisations, condition première d'une alternative.
Nous n'avons que quelques mois pour construire, aussi, un positionnement politique et un projet communs en vue des élections de 2012. A cet effet, nous vous proposons de nous rencontrer après votre congrès, comme nous rencontrerons les formations du Front de Gauche.
Nous nous retrouverons sans aucun doute ensemble dans les mobilisations, écologiques, féministes, sociales, antiracistes.
Et nous gardons l’espoir que nous resterons aussi au coude à coude pour les échéances politiques à venir.

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 00:00

Tribune des Alternatifs dans POLITIS du jeudi 10 février 2011

 

La 5eme République nous tend, à chaque scrutin Présidentiel, le même piège : personnalisation du débat, politique spectacle et, pour la gauche de gauche, éclatement.
Le bilan des élections de 2007 avait été net : si certains ont clairement perdu, personne à gauche du PS n'a vraiment gagné.
Le potentiel d'une gauche de transformation sociale et écologique est pourtant réel, d’abord sur le terrain des luttes. Son socle électoral reste important. Enfin. sa bataille idéologique contre le néo-libéralisme a marqué des points.

Même rassemblement partiel, le Front de Gauche manifeste une forte aspiration unitaire.  Même tenté par l'isolement, le NPA conserve des forces militantes et une radicalité nécessaires au combat de l'autre gauche
Malgré son éparpillement, la gauche alternative est porteuse de propositions majeures, de la démarche autogestionnaire à la reconversion sociale et écologique de l'économie. Libertaires, objecteurs de croissances et autres déboulonneurs participent aussi à la construction d'alternatives.

La volonté de résister au rouleau compresseur capitaliste est forte et s'exprime sur tous les terrains dans la société. Elle doit peser dans le champ politique, avec l'exigence de décider ensemble, à la base, de dépasser les divisions

Au sein du PS existent  des secteurs de gauche, que nous avons retrouvés dans la bataille sur les retraites. Mais nous avons aussi constaté à cette occasion que l'orientation social-libérale restait largement dominante au sein de  ce  parti, et bien ancrée chez ses dirigeantEs  L'ensemble de l'autre gauche ne peut donc éluder la question de l'indépendance à l'égard du social libéralisme. La clarté s'impose : il n'y a pas de compromis possible avec des politiques comme celles menées par les partis socialistes au pouvoir aujourd’hui en Grèce, en Espagne et au Portugal et mises en œuvre suite aux directives du FMI.
Pour les Alternatifs, c’est à l'aune d'un projet et d'un programme de rupture avec l'ordre libéral que doivent être envisagés les rapports avec le PS.
Ce constat ne conduit pour autant en rien à renoncer à une bataille claire contre la droite et le FN.

Il est possible d'aboutir à une position commune de toute la gauche de gauche sur ces points. Et il est indispensable, pour passer de la défensive à l'alternative, d'avancer ensemble autour d'un projet social, écologiste, féministe et démocratique.
Des propositions, souvent convergentes, sont portées par les diverses forces politiques de la vraie gauche et de l'écologie radicale, comme dans les syndicats et associations, elles sont débattues dans les forums sur le projet partagé du Front de Gauche, elles naissent et s'expriment dans les mobilisations sociales, dans les alternatives concrètes.

Les Alternatifs gardent le cap du rassemblement large,  aspiration largement partagée à gauche du PS, notamment par de nombreux/ses militantEs des partis du Front de Gauche comme du NPA qui va tenir son congrès.

Nous n'avons que quelques mois pour construire  un positionnement politique et un projet communs en vue des élections de 2012.
Quelques mois pour avancer dans la constitution d’un bloc social et politique de TOUTE  l’autre gauche, large, ouvert à toutes les composantes, aux citoyennes et citoyens, militantEs des mouvements sociaux, s’appuyant sur des collectifs unitaires et ancré dans les milieux populaires et la jeunesse. Un bloc social et politique pour les mobilisations, condition première d'une alternative.
Pour ce qui concerne la Présidentielle, jouons collectif, avec une campagne diverse, la présence avec le/la candidatE de représentantEs des forces rassemblées. Menons une campagne liée à tous les combats sociaux et écologiques, rompant avec le carcan présidentialiste et les faux-semblants imposés par les médias dominants et les professionnelLEs de la politique.
Restons au coude à coude, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen pour changer la donne à gauche

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 20:48

 

Dakar accueille, du 6 au 11 février, le Forum social mondial. Un rendez-vous qui marque le dixième anniversaire d’un mouvement altermondialiste mobilisé dans la réflexion et l’action pour l’édification d’un autre monde. Un mouvement arrivé à un moment où des ruptures sont nécessaires pour mieux orienter et accompagner les processus d’émancipation et de renouvellement historique. Un processus que Gustave Massiah interroge à travers douze hypothèses.

par Gustave Massiah
26 janvier 2011

 

 

Pour mettre en évidence la cohérence et les questions controversées de la stratégie du mouvement altermondialiste, il est proposé de retenir douze hypothèses sur l’analyse de la situation actuelle et sur les projets de transformation mis en avant par le mouvement altermondialiste.


PREMIERE HYPOTHESE

La situation est caractérisée par une crise globale. C’est en premier lieu une double crise emboîtée : celle du néolibéralisme et celle du capitalisme.

C’est une crise du néolibéralisme en tant que phase néolibérale de la mondialisation capitaliste. Cette phase, qui a commencé au début des années 1980, est aujourd’hui épuisée. C’est une crise du système capitaliste lui-même, ouverte par la profondeur de la crise que nous vivons actuellement. Cette crise, multidimensionnelle, ouvre une possibilité de rupture d’un cycle beaucoup plus long, de plus de cinq siècles ; celui qui a construit une civilisation capitaliste et occidentale.


DEUXIEME HYPOTHESE

La crise actuelle, qui se présente comme une crise financière, monétaire et économique, a des fondements beaucoup plus profonds. C’est une crise sociale, démocratique, géopolitique et écologique, et au total une crise de civilisation

C’est une crise sociale, celle des inégalités, de la pauvreté et des discriminations. C’est une crise démocratique, celle de la remise en cause des libertés et de l’égalité partout où elles avaient connu des avancées. C’est une crise géopolitique, celle de la décolonisation inachevée et de la remise en cause de l’hégémonie des Etats-Unis et de leurs alliés européens et japonais. C’est une crise écologique, celle de la rencontre des limites de l’écosystème planétaire. Chacune des dimensions de la crise fait remonter à la surface les problèmes non résolus des grandes crises précédentes que la dynamique du capitalisme avait réussi à contenir sans les régler pour autant.


TROISIEME HYPOTHESE

Le mouvement altermondialiste est porteur d’une logique anti-systémique par rapport à la logique dominante.

Par rapport à la logique systémique du néolibéralisme, le mouvement altermondialiste conteste la subordination à la rationalité du marché mondial des capitaux et à l’ajustement structurel de chaque société au marché mondial. Par rapport à la logique systémique du capitalisme, il conteste la nature même de la croissance et la marchandisation qui, de manière toujours croissante, subordonne à la recherche du profit tous les aspects de la vie. Le mouvement altermondialiste à travers les résistances, les luttes sociales et citoyennes, la contestation culturelle, la bataille des idées a contribué à l’approfondissement des contradictions du système et à sa crise.


QUATRIEME HYPOTHESE

Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique d’émancipation qui prolonge et renouvelle les mouvements historiques des périodes précédentes : les mouvements historiques de la décolonisation, pour les libertés, des luttes sociales, de l’écologie.

Il renoue avec des tendances très longues en redéfinissant les enjeux à partir des remises en cause, par le néolibéralisme, des équilibres historiques. Le mouvement historique de la décolonisation a remis en cause l’équilibre et le sens du monde. Il a été combattu par le néolibéralisme à travers la gestion de la crise de la dette, les programmes d’ajustement structurel et la perversion des régimes des pays décolonisés. Le mouvement historique pour les libertés et l’égalité avait bouleversé le monde avec les Lumières, puis la révolution des nationalités ; il a pris de nouvelles dimensions, dans le mouvement des libertés de 1965 à 1973, avec la remise en cause des totalitarismes et des oppressions, particulièrement l’oppression des femmes. Le néolibéralisme a tenté de le récupérer à travers l’individualisme et la consommation. Le mouvement historique des luttes sociales a structuré l’histoire du capitalisme. Il a opposé, dès le début du capitalisme, la bourgeoisie à la paysannerie et aux couches populaires urbaines ; il a pris tout son sens avec le mouvement ouvrier à partir du 19ème siècle et dans les luttes révolutionnaires du début du XXème siècle. Le néolibéralisme, de son côté, a développé la précarisation et une mondialisation fondée sur le dumping social généralisé.


CINQUIEME HYPOTHESE

L’orientation stratégique du mouvement altermondialiste est celle de l’accès aux droits pour tous et de l’égalité des droits à l’échelle mondiale. Elle prend tout son sens avec l’impératif démocratique.

Cette orientation caractérise la nature anti-systémique du mouvement. Le mouvement oppose l’accès aux droits pour tous à logique du néolibéralisme. Le mouvement oppose l’égalité des droits, à l’échelle mondiale, à la logique du capitalisme. A l’affirmation qu’on ne peut organiser le monde qu’à partir de la régulation par le marché mondial des capitaux, le mouvement affirme qu’on peut organiser chaque société et le monde à partir de l’accès aux droits pour tous. A l’affirmation qu’on ne peut organiser le monde qu’à partir de rapports sociaux déterminés par la propriété du capital, le mouvement affirme qu’on peut organiser chaque société et le monde à partir de l’égalité des droits. L’orientation stratégique sur l’accès aux droits est nécessairement reliée à l’impératif démocratique qui prend une acuité particulière dans la période actuelle où les libertés sont largement mises en cause et où l’égalité est contestée comme valeur.


SIXIEME HYPOTHESE

Le mouvement altermondialiste revendique la mise en œuvre des quatre générations de droits qui ont été générés par chacun des mouvements historiques : les droits civils et politiques ; les droits économiques, sociaux et culturels ; les droits des peuples ; les droits écologiques. Chaque période historique a repris à son compte, complété et renouvelé, les droits formalisés dans les périodes historiques précédentes.

Les droits civils et politiques ont été explicités et formalisés par les grandes déclarations du 18ème siècle. Ils ont été complétés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Ils ont été renouvelés par les droits des femmes. Ils ont été complétés par le refus des totalitarismes et par l’articulation entre les droits individuels et les droits des peuples. Les droits économiques sociaux, culturels et environnementaux ont été mis en avant par la DUDH et complétés par les politiques publiques de l’après-guerre et par le Pacte International Relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC). Les droits des peuples, notamment les droits à l’autodétermination, au contrôle des ressources naturelles et au développement ont été formalisés par l’ONU et explicités dans la Charte pour les droits des peuples. Une quatrième génération de droits est en gestation. Elle comprend les droits « écologiques » et correspond à la redéfinition des rapports entre l’espèce humaine et la Nature. Elle comprend les droits de maîtrise de la mondialisation et de renouvellement des droits civils et politiques, et notamment les droits des migrants et de libre circulation. Elle comprend aussi le renouvellement des droits dans l’invention d’un universalisme universel.


SEPTIEME HYPOTHESE

Le mouvement altermondialiste, formé par la convergence des mouvements sociaux et citoyens, met en avant une culture politique fondée sur la diversité et l’horizontalité.

La diversité résulte de la légitimité de tous les mouvements qui luttent contre l’oppression et qui inscrivent cette lutte dans un projet d’émancipation. Le mouvement a mis en place un processus, celui des forums sociaux mondiaux ; ils sont organisés à partir des principes d’activités autogérées, de refus des autorités autoproclamées, de recherche des consensus et de démocratie participative. La référence à « un autre monde possible » exprime le refus de la fatalité, des théories de « la fin de l’histoire », de « la guerre des civilisations » et de la prétention néolibérale « there is no alternative ».


HUITIEME HYPOTHESE

Les bases sociales de l’altermondialisme et ses alliances dépendent des enjeux de la période, des issues qui se présentent à la crise : le néo¬conservatisme de guerre ; la refondation du capitalisme à travers le « green new deal » ; le dépassement du capitalisme.

Les bases sociales, dans le cas du néo-conservatisme de guerre, concernent tous ceux qui veulent lutter contre la barbarie, la répression, les régimes autoritaires et les guerres. Le néo-conservatisme de guerre se présente comme une des issues pour tous ceux qui voudront maintenir, coûte que coûte, les privilèges du néolibéralisme. Les bases sociales et les alliances par rapport à la refondation du capitalisme et au « green new deal » sont formées par tous les mouvements qui luttent pour l’accès aux droits pour tous à l’échelle mondiale. Les bases sociales pour le dépassement du capitalisme sont formées par les parties des mouvements qui sont engagés dans les luttes pour l’égalité des droits. Dans l’urgence, les alliances regroupent ceux qui sont opposés au néo¬conservatisme de guerre. Les principes généraux se définissent à l’échelle de la crise, de la mondialisation. Les alliances concrètes dépendront des situations des nations et des grandes régions. Dans la durée, et si le danger du néo-conservatisme de guerre peut être évité, la confrontation opposera les tenants du green new deal et ceux du dépassement du capitalisme.


NEUVIEME HYPOTHESE

Le débat continue dans le forum sur plusieurs questions stratégiques, particulièrement sur les questions du pouvoir et du politique. Le pari est d’inventer de nouvelles formes de rapport entre la question sociale et les mouvements, et entre le politique et les institutions. L’impératif démocratique est au centre de cette réinvention.

L’interrogation porte en premier lieu sur la nature contradictoire de l’Etat, entre le service des classes dominantes et l’intérêt général, sur la crise de l’Etat-Nation et sur le rôle de l’Etat dans la transformation sociale. Elle porte aussi sur la nature du pouvoir et sur le rapport au pouvoir. Dans les processus engagés, notamment par rapport à la violence, les modalités de la lutte pour le pouvoir peuvent l’emporter sur la définition du projet et marquer profondément la nature de la transformation sociale. La culture démocratique est sur ce plan déterminante. La remise en cause de la domination passe par la confrontation pour l’hégémonie culturelle. Toute transformation sociale est confrontée à la remise en cause du pouvoir dominant. Il n’y a pas de changement social sans rupture, sans discontinuité dans les formes du politique et du pouvoir. Cette rupture et sa maîtrise possible constituent le pari fondateur de tout changement social. Le débat sur les orientations générales et les applications dans des situations spécifiques est au centre des débats du mouvement altermondialiste.


DIXIEME HYPOTHESE

La crise globale ouvre des opportunités pour le mouvement altermondialiste. Ces opportunités articulent, dans l’urgence, un programme d’améliorations immédiates, et dans la durée, un espace de transformation radicale.

Les opportunités permettent de dégager, dans plusieurs grandes directions, les améliorations immédiates possibles, d’une part, et les transformations radicales en termes de nouveaux rapports sociaux, de fondements des nouvelles logiques et de lignes de rupture. La régulation publique et citoyenne permet de redéfinir les politiques publiques ; elle ouvre la discussion sur les formes de propriété et sur l’évolution fondamentale du travail. La redistribution des richesses et le retour du marché intérieur redonnent une possibilité de stabilisation du salariat, de garantie des revenus et de la protection sociale, de redéploiement des services publics ; elle ouvre à l’égalité d’accès aux droits et sur la relation entre le statut social du salariat et son évolution en tant que rapport social. L’urgence écologique nécessite des mesures immédiates pour la préservation des ressources naturelles, particulièrement l’eau, la terre, et l’énergie, de la biodiversité et du climat ; elle ouvre la discussion sur une mutation du mode de développement social. Le modèle de représentation politique nécessite la redéfinition de la démocratie, le refus de la discrimination et de la ségrégation sociale ; il ouvre la réflexion sur les nouvelles formes du pouvoir et du politique. Le rééquilibrage entre le Nord et le Sud définit une nouvelle géopolitique du monde ; elle ouvre une nouvelle phase de la décolonisation. Une nouvelle régulation mondiale redéfinit le système international ; elle ouvre la régulation de la transformation sociale à l’échelle de la planète et la perspective d’une citoyenneté mondiale.


ONZIEME HYPOTHESE

Les analyses et les propositions discutées dans les Forums sociaux mondiaux ont été validées, depuis l’ouverture de la crise, dans la bataille des idées. Mais elles ne se sont pas imposées dans les politiques mises en œuvre. Le mouvement altermondialiste, à côté des recommandations immédiates, avance de nouvelles propositions qui articulent la sortie du néolibéralisme et le dépassement du capitalisme.

La crise globale est aujourd’hui reconnue comme crise du néolibéralisme ; la discussion sur la crise du système capitaliste est ouverte dans l’espace public. Les recommandations immédiates (contrôle du système bancaire, régulation publique et citoyenne, suppression des paradis fiscaux, taxes internationales, etc.) s’imposent dans le débat mais sont édulcorées, voire ignorées, pour ne pas heurter les intérêts des classes dominantes. Dans les forums sociaux mondiaux, plusieurs questions font le lien entre de nouvelles orientations susceptibles de réformes immédiates et d’alliances larges, et de nouvelles ouvertures vers des alternatives radicales. Parmi ces questions, citons celles des biens communs, de la gratuité, du bien-vivre, de la démarchandisation, des relocalisations, de l’hégémonie culturelle et du pouvoir politique, de la démocratisation radicale de la démocratie, de la construction d’un « universalisme universel », du statut politique de l’Humanité, etc.

DOUZIEME HYPOTHESE

Le mouvement altermondialiste est engagé dans une réflexion globale, celle du renouvellement de la pensée de la transition et dans la recherche de solutions politiques correspondant aux différentes situations. Il propose d’articuler les réponses en fonction du temps, de l’urgence et de la durée ; de l’espace, du local au global ; des formes d’intervention. Il mène de front les luttes et les résistances, l’élaboration intellectuelle, la revendication de politiques publiques visant à l’égalité des droits, les pratiques concrètes d’émancipation.

Au niveau des échelles d’espace, les interdépendances existent entre le local, le national, les grandes régions, le global et le planétaire. Chacune des propositions se décline à ces différents niveaux, ainsi de l’hégémonie culturelle, des rapports internationaux, économiques, géopolitiques et écologiques, de la démocratisation, des équilibres économiques et géoculturels, du pouvoir politique, des Etats et des politiques publiques, des pratiques concrètes d’émancipation et de la relation entre population, territoire et institutions. Au niveau des formes d’intervention, le mouvement altermondialiste mène ses actions à travers quatre modalités articulées qui seront illustrées dans la dernière partie du livre. Les luttes et les résistances permettent de se défendre et de créer. L’élaboration permet de comprendre le monde pour le transformer. Les politiques publiques sont un espace des conflits et des négociations. Les pratiques concrètes d’émancipation, à tous les niveaux, du local au national, aux grandes régions et au mondial, construisent des alternatives et préfigurent de nouveaux rapports sociaux.

Comme tout système, le capitalisme n’est pas éternel. Il a eu un début et il aura une fin. Son dépassement est d’actualité. Il est nécessaire dès aujourd’hui d’esquisser et de préparer un autre monde possible.


Auteur: Gustave Massiah

Economiste, membre du Conseil scientifique et ancien vice-président d’ATTAC, président du Centre de recherche et d’information pour le développement

Thèmes: Mouvement altermondialiste & forums sociaux

Source-s: Pambazuka - 22 janvier 2011

Publié sur le site du  Centre Tricontinental (CETRI) www.cetri.be/spip.php?article2060

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 20:20

 Il nous a semblé important d'attirer l'attention des lecteurs sur cet article passionnant et riche d'enseignements qui éclaire sous un jour particulier la "Révolution de Jasmin", en particulier dans ses composantes ouvrières et syndicales.


Larbi Chouikha et Vincent Geisser,

« Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinq leçons politiques d’un conflit social inédit »,  

L'Année du Maghreb [En ligne], VI | 2010, mis en ligne le 11 janvier 2011, consulté le 06 février 2011. URL : http://anneemaghreb.revues.org/923


Texte intégral


1. Au début de l’année de 2008 éclatait dans le bassin minier de Gafsa l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu la Tunisie depuis son indépendance. Au départ, personne n’aurait pensé, dans un pays totalement verrouillé par l’appareil sécuritaire, que des mères de familles, des adolescents, des « petites gens », des diplômés chômeurs ou de simples militants syndicaux puissent défier le régime des mois durant, au point que la « révolte » est considérée aujourd’hui comme le symbole de la résistance populaire à l’autoritarisme benalien. Alors que tous les observateurs étaient braqués sur la campagne pour les élections présidentielle et législative d’octobre 2009 et, que les opposants cooptés ou indépendants se mettaient déjà en marche pour participer symboliquement ou boycotter énergiquement un « scrutin sur mesure », l’expression du ras-le-bol a explosé là où on ne l’attendait pas forcément : la Tunisie de l’intérieur, déshéritée et oubliée (les « zones d’ombre » pour reprendre la rhétorique officielle du régime1) qui n’intéresse finalement pas grand monde et encore moins les correspondants de la presse étrangère trop accoutumés à leurs réseaux d’informateurs des « beaux quartiers » de la capitale (le triangle La Marsa-Sidi Bousaïd-Carthage). Et, il est vrai, qu’au départ, comme le souligne pertinemment le politologue Amin Allal (2010), le « mouvement » du bassin minier n’a pas été vraiment pris au sérieux par les partis d’opposition et les organisations des droits de l’Homme basés à Tunis, qui ont voulu y voir la résurgence d’une « révolte tribale », que le pouvoir n’aurait aucune difficulté à étouffer dans l’œuf par la distribution de gratifications matérielles et de subventions en tout genre. Selon cette vision élitiste, le clientélisme d’État n’aurait aucun mal à venir à bout de la colère des gueux, peu politisés et facilement « achetables », en dépit du fait que Gafsa reste dans l’esprit de nombreux Tunisiens la « ville indomptable » en référence à une très ancienne tradition de luttes syndicales et aux événements de 1980 (Baduel, 1982, p. 521-574). Or, c’est tout le contraire qui s’est passé : au fil des jours, le mouvement social n’a cessé de se politiser et de revêtir une dimension protestataire, outrepassant largement les registres social et professionnel des premiers temps (demandes d’embauche collective dans la Compagnie des phosphates de Gafsa).

2 . Avec du recul, les analyses produites par les social scientists (Allal, 2010 ; Chouikha et Gobe, 2009, p. 387-420) et les observateurs engagés2 ont convergé pour mettre en exergue la charge politique et contestataire de la révolte du bassin minier, au point de se demander si elle n’anticipait pas les contours d’un mouvement social à venir qui, à moyen terme, pourrait ébranler les bases du régime. En somme, les spécialistes du champ politique tunisien ont longtemps estimé que les changements au « pays du jasmin » viendraient du « sérail tunisois » et des milieux élitaires : le mouvement de Gafsa laisse à penser, au contraire, que le « pays de l’intérieur » pourrait jouer aussi un rôle dans la redéfinition des enjeux politiques futurs et la transition vers un nouveau type de régime. La répression policière et judiciaire du mouvement (procès en première instance des 4 et 11 décembre 2008 et procès en appel du 3 février 2009) et la « clémence présidentielle » (libération des condamnés du bassin minier à l’occasion de la fête du 7 novembre 20093) n’enlèvent rien à la charge subversive de la révolte. Cette dernière continue à marquer les mémoires et sert consciemment ou inconsciemment de « modèle de mobilisation », même si celui-ci n’a jamais été pensé par les acteurs protestataires. Pour le dire plus simplement : désormais, il y aura un avant et un après Redeyef4. De ce point de vue, cinq « leçons politiques » peuvent être tirées de ce mouvement social inédit dans la Tunisie indépendante.

 

3. Le syndicat de salariés, l’UGTT, apparaît bien comme le « maillon faible » des agences de pouvoir (Camau et Geisser, 2003 ; Gobe, 2006, p. 174-192) : si la direction nationale est prompte à collaborer avec le gouvernement et, en particulier, avec le ministère de l’Intérieur, pour pacifier les luttes sociales, les instances régionales et locales, davantage proches de la base militante et de la population, ont montré qu’elles pouvaient à tout moment faire preuve d’audace protestataire, refusant toute forme d’allégeance au régime.

 

4. A contrario, les partis de l’opposition indépendante et les organisations des droits de l’Homme, en dépit d’une bonne insertion dans les réseaux internationaux et d’un soutien tardif aux activistes du bassin minier, sont apparus en total décalage avec le mouvement social, évoluant dans une « bulle élitaire », certes objet de tracasseries policières permanentes, mais finalement peu menaçantes pour les assises du régime. Pire, la majorité des intellectuels tunisiens se sont montrés relativement indifférents au mouvement social, comme si celui-ci par sa « nature populaire » n’était porteur d’aucune signification politique5.

 

5. Car, il est vrai qu’une sociologie « fine » des émeutiers du bassin minier6 révèle la prédominance des membres des classes populaires, des diplômés au chômage, des anciens salariés prolétarisés, des femmes seules avec enfants (veuves de mineurs), etc., qui contraste point par point avec l’assise sociale des partis et des ONG ayant pignon sur rue. Même les leaders du mouvement, membres des syndicats de base, appartiennent généralement à la classe moyenne intellectuelle en voie de paupérisation.

 

6. Contrairement à toutes les analyses qui soulignent une distanciation de facto entre les Tunisiens de l’intérieur et ceux de l’extérieur (immigrés, réfugiés politiques, anciens opposants islamistes et gauchistes), certains milieux de la diaspora tunisienne ont joué un rôle central dans les mobilisations, davantage impliqués que les élites tunisoises. Les « Tunisiens de l’étranger » ont non seulement contribué à rendre visible le mouvement social aux yeux de l’opinion publique internationale mais ont aussi apporté un appui logistique aux révoltés du bassin minier.

 

7. Enfin, la gestion policière du mouvement social par les autorités apparaît davantage comme le signe d’une certaine impuissance du pouvoir que d’une réelle maîtrise de la situation. Confronté à une contestation « spontanée » et « imprévue », le régime s’est lancé dans une fuite en avant sécuritaire7qui apparaît davantage comme un signe de faiblesse que de puissance.

8. Tirant les enseignements sociopolitiques de la « révolte du bassin minier », nous allons brièvement développer ces cinq points qui, selon nous, sont susceptibles de peser sur l’évolution future de la configuration politique tunisienne.

Les « deux UGTT » : la dissonance syndicale comme vecteur paradoxal de la dynamique protestataire (première leçon)

9. Il est difficile pour un observateur peu familier du fonctionnement du champ syndical tunisien de saisir la position ambivalente de la centrale UGTT dans les conflits sociaux. Celle-ci est perçue, tantôt comme un « bras armé du régime », digne des syndicats uniques des anciennes démocraties populaires d’Europe de l’Est, tantôt comme une force d’opposition que certains ont même comparée à un parti politique8. En fait, cette ambivalence était déjà présente dès les premières années de l’indépendance de la Tunisie, où son leader historique, Ahmed Ben Salah – qui deviendra plus tard ministre de Bourguiba –, hésitait entre l’option syndicale et l’option partisane, avec le rêve secret de transformer l’UGTT en parti travailliste, capable de concurrencer le parti bourguibien, le Néo-Destour. À cette ambivalence de « nature historique », qui poursuit l’UGTT jusqu’à aujourd’hui, s’ajoute également une ambivalence de « nature structurelle » qui s’explique par le fait que l’UGTT est composée de syndicats de base, plus ou moins autonomes, et représentée à l’échelle de chaque gouvernorat par des unions régionales plus ou moins en « bonne entente » avec la direction nationale9. Sous les apparences d’un « grand paquebot syndical » monolithique, l’UGTT fait figure d’organisation composite, quasi polyarchique, qui lui permet de mieux résister que les autres organisations de la « société civile » (partis d’opposition, associations et ONG) aux pressions sécuritaires du régime et fait d’elle une menace permanente pour la stabilité du pouvoir d’État. Sur ce plan, les événements récents du bassin minier ont constitué une illustration parfaite, d’une part, de la dissonance entre la bureaucratie syndicale et les syndicats de base et, d’autre part, du potentiel subversif de l’activisme des leaders syndicaux locaux, confirmant une nouvelle fois la thèse du « maillon faible » :

« L’UGTT apparaît comme le maillon faible du réseau des agences de pouvoir. Le leadership syndical est confronté aux protestations de militants syndicaux récusant l’alignement politique et aux tensions sociales générées par la libéralisation économique. Son intérêt de stabilité commande la neutralisation des opposants et rejoint en cela les préoccupations du Palais. Mais il lui faut également compter avec les implications des syndicats de base dans les conflits à l’échelle des entreprises. Il ne peut les appuyer sans réserve ni les contrer de manière frontale. Dans un cas comme dans l’autre son aptitude à gérer le secteur serait prise en défaut et planerait la menace d’un dérapage des conflits. » (Camau et Geisser, 2003)

10. C’est précisément ce scénario qui s’est déroulé lors des événements du bassin minier. Des syndicalistes de la base, en conflit ouvert avec le secrétaire général régional de l’UGTT, Amara Abbassi, par ailleurs membre du comité central du parti présidentiel (RCD), ont contesté la validité des résultats du concours public organisé par la Compagnie des phosphates de Gafsa (GPG). La bureaucratie syndicale, accusée de faire le jeu du régime, en cautionnant le système de corruption et de favoritisme, s’est trouvée rapidement en porte à faux avec les syndiqués ordinaires mais aussi avec les représentants locaux de la centrale, davantage en phase avec les revendications populaires, comme le décrit Ammar Amroussia dans son essai de bilan sur la révolte du bassin minier :

« C’est peut-être la première fois que la fureur populaire se dirige ainsi contre l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et précisément vers l’Union régionale et les syndicats miniers. En effet, l’indignation des gens (traduite par des marches, des communiqués et des discussions) n’a pas été seulement exprimée à l’égard du régime, mais elle a touché les symboles de la corruption syndicale. Ces symboles, outre leur acceptation du résultat du concours, organisé par la CPG, leur implication dans l’esprit des hordes, des relations personnelles et de la corruption, et leur exploitation directe des ouvriers au moyen de sociétés de sous-traitance, ont une responsabilité dans la dégradation de la situation dans la région. L’UGTT et les syndicats miniers n’ont pas seulement gardé le silence, au contraire, ils ont refusé, lors du dernier conseil régional, de présenter tout simplement les contestations des habitants de la région10. »

11. Dans un premier temps, la bureaucratie syndicale a donc été tentée de réprimer les syndicalistes « rebelles », en les désavouant publiquement : Adnane Hajji, l’une des figures charismatiques du mouvement social du bassin minier, a été ainsi suspendu de toute activité syndicale durant une période de cinq ans. Mais très rapidement, la direction de la centrale syndicale a dû faire machine arrière, au risque d’être totalement discréditée aux yeux de l’ensemble de ses adhérents et de ses militants de base : les syndicalistes « indociles » ont été réintégrés dans leurs fonctions et la direction de l’UGTT a fini par apporter un soutien – même timide et tardif – aux émeutiers traduits en justice, se distanciant par là de la politique répressive conduite par le régime.

Une opposition indépendante coupée du mouvement social : le signe de l’impuissance (deuxième leçon)

12. Dans son étude sur le mouvement du bassin minier, le politologue Amin Allal relève que « durant les deux premiers mois de la mobilisation, les organisations politiques d’opposition, la “société civile” et la centrale syndicale gardent leurs distances avec les contestataires. En effet, les partis d’opposition, peu implantés en dehors de Tunis, sont à ce moment-là plus préoccupés par les préparatifs de l’élection présidentielle d’octobre 2009 » (Allal, 2010, p. 5). L’auteur ne fait pas référence ici aux organisations clientes du régime qui, elles, ont évidemment dénoncé en chœur les émeutiers comme des représentants du « parti de l’étranger »11, mais bien aux acteurs indépendants : le Parti démocrate progressiste (PDP), le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), Ettajdid (ancien Parti communiste tunisien), la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH), l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), etc. Le seul parti à avoir joué un rôle non négligeable dans le mouvement est le Parti communiste des ouvriers tunisiens (POCT), petite formation d’extrême gauche, dont certains militants ont pris une part active dans les protestations. Mais, d’une manière générale, l’opposition indépendante est restée coupée des acteurs contestataires. Or, ce retrait du mouvement social ne peut être expliqué uniquement par des variables conjoncturelles liées au contexte électoral (scrutins législatif et présidentiel d’automne) ou par la répression policière (coût de l’engagement) mais aussi par des variables structurelles liées à la faiblesse de l’assise sociale de cette opposition et à son isolement par rapport à de larges secteurs de la société tunisienne, en particulier à l’intérieur du pays. Nous retrouvons là le « prisme élitiste et tunisois » (Camau et Geisser, 2003) des milieux oppositionnels mis en évidence dans de nombreux travaux et analyses12, attestant de l’inexistence d’une véritable opposition en Tunisie, comparable au rôle joué, par exemple, par les partis dans les champs politiques marocain, égyptien ou même jordanien :

« L’un des premiers facteurs de faiblesse de l’opposition politique réside dans les séquelles qu’elle traîne encore des “années de plomb”. Mais au lieu de profiter de ce soulèvement pour élargir sa base sociale, en faisant siennes les revendications des masses populaires, la majorité de cette opposition n’a pas manifesté l’intérêt qu’il faut pour un mouvement aussi important. Plus le mouvement progresse, plus se creuse l’écart la séparant des masses populaires.13 »

Et si le changement venait du « bas » : la sociologie des émeutiers (troisième leçon)

13. Sans verser nécessairement dans le mythe romantique du « petite peuple » à l’assaut du régime tyrannique, force est de constater, d’après les rares documents disponibles14, que la sociologie des émeutiers révèle le caractère extrêmement populaire des manifestants et même des « encadreurs politiques » du mouvement. On relève ainsi une prédominance des travailleurs journaliers, des précaires en tout genre, des étudiants chômeurs, des ouvriers, des petits employés, des épouses et des veuves de mineurs. Les seuls cadres du mouvement appartiennent généralement à la petite fonction publique tunisienne : ils sont instituteurs, professeurs de l’enseignement secondaire ou encore secrétaires dans une administration d’État mais jamais cadres supérieurs ou professions libérales. Ce n’est donc pas seulement la « Tunisie de l’intérieur » – Gafsa est à environ 350 km de Tunis – qui s’est mobilisée dans le bassin minier mais aussi « la Tunisie d’en bas », comme le confirme le tableau quasi ethnographique dressé par Ammar Amroussia :

« Ce mouvement a eu, dès son début, un caractère populaire large, ce qui l’a transformé en un soulèvement populaire proprement dit et ce malgré son aspect régional plus ou moins circonscrit. Toutes les catégories populaires ont adhéré à ce mouvement : ouvriers, chômeurs, fonctionnaires, commerçants, artisans, élèves, etc. Ceux qui y participent appartiennent à différentes générations, il y a des enfants, des jeunes, des adultes, des personnes âgées. Les femmes, même celles au foyer, ont pris part à la protestation et ont souvent joué un rôle d’avant-garde. Les divisions tribales, restées présentes dans la région et continuellement instrumentalisées par le pouvoir, ont disparu dans ce mouvement pour céder la place à l’appartenance sociale, de classe. Les habitants ont compris qu’ils vivent dans la même situation de misère, qu’ils partagent le même sort : le chômage, la marginalisation, la pauvreté, la dégradation du pouvoir d’achat et, en général, la détérioration de leurs conditions de vie.15 »

14. Toujours selon le même auteur, les élites intellectuelles seraient très largement restées en retrait du mouvement, quand elles ne l’ont pas purement et simplement méprisé :

« On ne peut aussi que remarquer, écrit-il, la passivité de l’ensemble des intellectuels. Exception faite de quelques-uns qui ont été touchés par l’événement et qui l’ont abordé dans des articles, la majorité n’a pas été “ébranlée” ni inspirée par l’ampleur de l’événement. Ce qui prouve la profondeur de la crise que traversent les intellectuels et les créateurs en Tunisie. Ils ont été habités par un sentiment de désespoir et d’impuissance perdant confiance dans le peuple au point de ne plus hésiter à lui tourner le dos le taxant de “lâcheté” et “ingratitude” et à se jeter dans les bras du pouvoir ou se consacrer pleinement à leurs affaires personnelles. Quand le peuple a bougé et qu’il s’est révélé vivace, dynamique et entreprenant, ces intellectuels ne se sont pas remis de leur léthargie et quatre mois de résistance et d’affrontements sanglants n’ont pas pu agir sur leurs pensées et leurs esprits.16 »

15. Les conclusions d’Ammar Amroussia sont particulièrement sévères pour les élites tunisiennes, et notamment celles du champ académique et artistique, et doivent probablement pour beaucoup à sa déception militante (l’auteur est proche des milieux d’extrême gauche). Toutefois, au-delà du propos engagé et désillusionné, c’est aussi une piste de réflexion pour les sociologues et les politologues qui se dessine : à trop nous focaliser sur les révolutions de Palais, les intrigues au sein de la famille (Ben Ali, Trablesi, Chiboub…), les querelles incessantes entre les leaders de l’opposition, l’attitude des soutiens occidentaux de la Tunisie officielle (USA, France, Italie, etc.), n’a-t-on pas trop rapidement écarté l’hypothèse d’un changement politique « par le bas » dans les prochaines années en Tunisie ?

Le rôle inattendu et renouvelé de l’opposition diasporique (quatrième leçon)

16. Dès les premiers temps du mouvement de libération, l’Europe, en général, et la France, en particulier, ont constitué une base arrière pour les organisations politiques et syndicales tunisiennes. À certains égards, l’on peut dire que l’Hexagone apparaît comme le prolongement naturel de l’espace politique tunisien, se structurant autour d’un axe Tunis-Paris, souvent bien plus influent que les relations tissées entre la capitale et la « Tunisie de l’intérieur ». Dans son travail de doctorat, Michaël Béchir Ayari, a mis en évidence sur le temps long les effets politiques de cette dialogique tuniso-française qui a, tantôt contribué à amplifier les mouvements protestataires, en leur donnant un écho inespéré, tantôt aboutit à les freiner, en créant une sorte de dichotomie entre les « opposants de l’intérieur » et les « opposants de l’extérieur », les intérêts entre ces deux entités militantes ne coïncidant pas systématiquement (Ayari, 2009). Si la France a longtemps représenté la « Mecque de l’extrême gauche tunisienne » (Perspectivistes, trotskystes, communistes orthodoxes, gauchistes, tiers-mondistes, etc.), son influence avait pourtant tendance à décliner ces vingt dernières années, en raison de facteurs sociologiques « lourds », qui ne revêtent pas forcément une dimension politique immédiate : la distanciation existentielle avec la mère patrie s’est souvent traduite par une francisation objective de nombreux anciens « exilés politiques » tunisiens qui se sont progressivement éloignés des enjeux militants et politiques du pays d’origine : le mariage avec une Française, l’éducation des enfants au « pays de Voltaire », l’insertion progressive dans les enjeux professionnels politiques et syndicaux de la société française, ont constitué autant de facteurs qui ont produit un phénomène de distanciation avec les scènes politiques tunisiennes. L’arrivée massive des réfugiés politiques islamistes à l’horizon des années 1990 n’a pas fondamentalement changé les données du problème : si ces derniers, jusqu’à une période récente, sont restés attachés au mythe du retour et au culte d’une tunisianité islamique, nombre d’entre eux ont fini par se faire à l’idée que l’action oppositionnelle à l’étranger était vaine. Du coup, depuis quelques années, on assiste dans les milieux islamistes exilés en France et en Grande-Bretagne à une série de retours qui ne se font pas sur une base collective (accord politique entre Ennahda et le régime) mais sur des bases purement individuelles, avec la promesse de ne plus s’engager dans des actions contre le régime (repentance). Le phénomène des repentis n’est désormais plus négligeable au sein de la mouvance islamiste et les cas des « militants retournés » – aux deux sens du terme – de plus en plus fréquents.

 

17. Or, les derniers événements du bassin minier de Gafsa ont, en partie, démenti cette hypothèse « pessimiste » de la distanciation des Tunisiens de l’étranger à l’égard des enjeux internes à l’espace national. Contre toute attente, une partie de l’opposition tunisienne en exil a retrouvé dans le mouvement social de Gafsa l’occasion de jouer un rôle politique de premier plan et ceci à deux niveaux.

18. À l’échelon international d’abord, où une organisation comme la FTCR17, issue des mouvements de gauche et d’extrême gauche, et représentant aujourd’hui le courant tunisien « démocratique » et « laïque », a contribué à médiatiser l’événement, à jeter des ponts avec les organisations politiques et syndicales européennes, et à envoyer une aide logistique aux émeutiers. L’implication de la FTCR dans le mouvement social n’a d’ailleurs pas échappé aux tenants de l’appareil sécuritaire du régime qui ont fait condamner par contumace son président, Mouhieddine Cherbib, à deux ans de prison ferme (procès du 11 décembre 2008 et du 3 février 2009)18. Il est fort probable que, sans l’action d’une organisation comme la FTCR, la révolte du bassin minier n’aurait pas eu l’écho international qu’elle a connu, le ministère de l’Intérieur ayant « cadenassé » tous les moyens d’information et de communication, à tel point que les Tunisiens de France étant souvent davantage au courant de ce qui se passait réellement à Redeyef (épicentre du mouvement social) que les Tunisiens de l’intérieur eux-mêmes.

 

19. À l’échelon local, ensuite, où les réseaux migratoires originaires de la région du bassin minier se sont également fortement mobilisés pour venir en aide aux familles et aux victimes de la répression policière. Alors que la communauté tunisienne de France fait l’objet d’une étroite surveillance, via les consulats, l’Amicale des Tunisiens et les indicateurs dépêchés dans l’Hexagone par le ministère de l’Intérieur, les immigrés tunisiens et les Français d’origine tunisienne ont parfois bravé la peur pour se lancer dans des actions de protestation et d’information à destination de l’opinion publique européenne. C’est ainsi qu’à Nantes (Ouest de la France), ville qui compte une assez forte communauté immigrée originaire du bassin minier de Gafsa (2 000 à 3 000 personnes), des habitants ont créé un Collectif nantais de soutien aux Tunisiens de Redeyef qui a réuni plusieurs centaines de personnes19. Le fait est assez rare pour être signalé, car depuis de très nombreuses années, l’immigration tunisienne populaire (ouvriers et leurs familles) ne s’était plus mobilisée sur les enjeux politiques liés au pays d’origine par crainte de représailles.

 

20. Bien sûr, ce sursaut politique de l’immigration tunisienne doit être largement relativisé. Il ne concerne au mieux que quelques milliers d’individus et quelques dizaines d’associations, dotés de moyens humains et financiers relativement modestes. Néanmoins, il est révélateur d’une tendance qui pourrait s’amplifier dans les prochaines années et signer le retour d’une opposition diasporique sur l’échiquier politique tunisien, susceptible d’apporter un appui logistique décisif aux « opposants de l’intérieur ».

La fuite en avant sécuritaire du régime : signe de force ou de faiblesse ? (cinquième leçon)

21. Si la gestion des conflits sociaux en Tunisie, sous Bourguiba comme sous Ben Ali, a rarement été marquée par son caractère pacifique – l’État étant toujours tenté de recourir à la force –, celle du mouvement du bassin minier se distingue par son extrême brutalité et par une certaine incohérence répressive. En effet, dans le conflit du bassin minier, le régime a donné plusieurs fois l’impression de perdre pied et les violences systématiques pratiquées sur les émeutiers font figure davantage d’aveu de faiblesse que de puissance. Le récit d’Ammar Amroussia souligne bien ces atermoiements du pouvoir dans sa riposte policière qui, en creux, a mis en évidence la désorganisation de l’appareil sécuritaire :

« Les forces de l’ordre ont été incapables de réaliser ce qu’elles accomplissaient aisément par le passé, en réprimant une contestation isolée et réduite à des minorités, ne serait-ce que parce que le mouvement est réellement populaire et que tous ceux et celles qui y ont participé sont déterminés à résister et à continuer leur lutte jusqu’au bout car ils n’ont plus rien à perdre, à part leurs chaînes. C’est pourquoi les forces de l’ordre qui sont intervenues violemment au début du mois d’avril 2008 puis au début du mois de mai ont vite perdu du terrain face à la détermination des habitants. Ce que les autorités pouvaient interdire habituellement aux partis et associations même légaux, aussi bien dans leurs sièges que dans les espaces publics, les contestataires l’ont fait au bassin minier à leur guise et sans aucune autorisation de la police. Ainsi, les marches traversaient les rues jour et nuit, les réunions ont lieu dans les espaces publics et les tracts et les bulletins politiques sont distribués en plein jour sous les regards de la police qui se contente de surveiller sans intervenir. Les habitants ont créé un rapport de force, sur le terrain, en leur faveur qui leur a permis de jouir de leurs droits de réunion, de manifestation, d’expression, etc. Les forces de l’ordre n’ont qu’une seule solution pour arrêter le mouvement, c’est la prise pure et simple des villes du bassin minier et le décret de l’état de siège et du couvre-feu pour empêcher toute activité.20 »

22. Le bilan humain des émeutes du bassin minier est particulièrement lourd : trois morts21, des dizaines de blessés, une centaine d’interpellations et d’arrestations, une trentaine d’inculpés et un retour en force de la torture pratiquée non seulement dans les commissariats de quartiers mais aussi dans les centres pénitentiaires où ont été déférés les leaders du mouvement social :

« Les avocats soutiennent que la plupart de leurs clients ont été victimes de torture et ont subi des traitements inhumains et dégradants tout au long de leur détention et notamment lors de la phase d’enquête ; qu’ils ont systématiquement fait état de cette atteinte gravissime à l’intégrité physique des “accusés” en particulier devant le juge d’instruction qui en a constaté la véracité. Ils présentent un tableau des principaux cas de torture allégués et constatés (dont on a pu vérifier la transcription dans l’ordonnance de clôture de l’instruction).22 »

23. In fine, ce que révèle la révolte du bassin minier, c’est l’emballement de la machine sécuritaire du régime et son incapacité à faire face à un mouvement social d’extraction populaire. En effet, depuis un certain nombre d’années, s’était installée en Tunisie une sorte de « routine sécuritaire » qui consistait à réprimer les oppositions « classiques », les défenseurs des droits de l’Homme et, ponctuellement, les manifestations de rues organisées par les syndicats étudiants et salariés. De ce point de vue, les rapports des ONG et les communiqués publiés par les associations indépendantes tendaient à refléter une certaine accoutumance à la répression, non que celle-ci soit considérée comme légitime ou normale, mais parce qu’elle devenait banale dans ses formes et ses méthodes. Or, confronté à une « révolte par le bas », animée non par des « professionnels de la contestation » mais par des citoyens ordinaires, les réflexes sécuritaires du régime ont été mis à l’épreuve, contribuant à se dévoiler au grand jour et, par effet de feed back, à accorder au mouvement social une victoire symbolique. N’est-ce pas là le signe d’un ébranlement du Pacte de sécurité23, ce contrat social implicite entre l’État et le peuple, que certains auteurs ont longtemps considéré comme le principal moteur du régime de Ben Ali ?


Bibliographie

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Baduel Pierre-Robert, 1982, « Gafsa comme enjeu », Annuaire de l’Afrique du Nord 1980, Paris, Éditions du CNRS, p. 521-547.

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Gobe Éric, 2006, « Corporatismes, syndicalisme et dépolitisation », in Elizabeth Picard (dir.), La politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, p. 174-192.

—,2008, « Les syndicalismes arabes au prisme de l’autoritarisme et du corporatisme », in Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier (dir.), Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au xxie siècle, Paris, La Découverte, Coll. Recherches, p. 267-284.

Hamzaoui Salah, 1999, « Champ politique et syndicalisme en Tunisie », Annuaire de l’Afrique du Nord, XXXVIII, Paris, Éditions du CNRS, p. 369-380.

Heumann Jean-Bernard, Abdelhaq Mohamed (pseudonyme respectif d’Éric Gobe et de Larbi Chouikha), 2000, « Opposition et élections en Tunisie », Maghreb-Machrek, avril-juin, p. 29-40.

Hibou Béatrice, 2006, La force de l’obéissance. L’économie de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte.

Khiari Sadri, 2000, « Reclassements et recompositions au sein de la bureaucratie syndicale depuis l’indépendance. La place de l’UGTT dans le système politique tunisien », Paris, Centres d’Études et de Recherches Internationales, « Le Kiosque », http://www.ceri-sciencespo.com/archive/Dec00.


Notes

1  C’est notamment la mission dévolue au Fonds de solidarité nationale (FSN), organisme gouvernemental dont l’objectif est d’éradiquer les poches de pauvreté. Pour certains observateurs critiques, il s’agit, en réalité, d’une fiscalité déguisée, voire d’un racket fiscal opéré par le régime, sous couvert de générosité. Cf. Béatrice Hibou (2006).

2  Ammar Amroussia, « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », Rapport publié par le Parti communiste des ouvriers tunisiens, Albadil Express, liste diffusion du PCOT, 12 janvier 2009 ; Houcine Bardi, « Procès du 11 décembre 2008 devant le tribunal de Gafsa. Rapport d’observations judiciaires » : www.crldht.org/.../PROCES_DU_11_DECEMBRE_2008_DEVANT_LE_TRIBUNAL_PENAL_DE_GAFSA.doc.

3  22e anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président Ben Ali.

4  Cité minière située à l’ouest de Gafsa, elle a été l’épicentre des mobilisations en 2008 et 2009.

5  Dans son rapport rédigé pour le compte du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT), Ammar Amroussia se montre particulièrement sévère sur l’indifférentisme des intellectuels tunisiens à l’égard de la « révolte du bassin minier » : « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », op. cit.

6  C’est notamment l’approche de terrain privilégiée par Amin Allal (2010).

7  Pour un récit détaillé de la répression, cf. Éric Gobe et Larbi Chouikha (2009) ; Houcine Bardi, « Procès du 11 décembre 2008 devant le tribunal de Gafsa. Rapport d’observations judiciaires », op. cit.

8  Sur le site web officiel du syndicat, son secrétaire général, Abdesellam Jerad se défend de toute inclinaison partisane, tout en revendiquant un rôle politique : « l’UGTT n’est l’assise sociale d’aucun parti politique et elle refuse de rester à l’écart de la vie publique sous prétexte d’indépendance » : http://www.ugtt.org.tn/fr/actualitees-details.php?id =376.

9  Sur le fonctionnement complexe de l’UGTT et ses relations avec le pouvoir, cf. Salah Hamzaoui (1999, p. 369-380), Sadri Khiari (2000). Voir égalementÉric Gobe (2008, p. 267-284).

10  Ammar Amroussia, « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », op. cit.

11  Comme le parti écologiste fantoche créé de toute pièce par le régime, le Parti vert pour le progrès (PVP) qui a publié un communiqué stigmatisant les émeutiers du bassin minier, tout en demandant une grâce présidentielle pour les condamnés : « le bureau politique désapprouve le soutien de certains prétendus défenseurs des droits de l’Homme tunisiens à ces étrangers ; soutien qui s’inscrit dans le cadre de la propagande politique au service d’agendas qui n’ont rien à avoir avec les aspirations actuelles du peuple et du pays. […] Le bureau réitère son appel au chef de l’État pour qu’il intervienne, conformément à ses prérogatives constitutionnelles, en graciant les personnes condamnées dans cette affaire et en faisant la joie de leurs familles et proches. Le PVP est totalement confiant dans la compassion du chef de l’État envers tous les Tunisiens, notamment les jeunes », cité par As-Sabah, 8 février 2009.

12  Voir Larbi Chouikha et Éric Gobe (2009, p. 163-182) ; Mohamed Abdelhaq et Jean-Bernard Heumann (2000, p. 29-40) ; Camau et Geisser (2003,p. 227-265).

13  Ammar Amroussia, « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », op. cit.

14  Pour se faire une idée de la sociologie des émeutiers, on peut se référer aux profils socioprofessionnels des prévenus aux procès de décembre 2008 et février 2009 rapportés par Houcine Bardi, « Procès du 11 décembre 2008 devant le tribunal de Gafsa. Rapport d’observations judiciaires », op cit., aux descriptions approfondies d’Ammar Amroussia, « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », op. cit., et, enfin, aux extraits des reportages vidéo sur les manifestations de rue tournés par Fahem Boukadous qui donnent un bon aperçu de la sociologie des acteurs du mouvement social : http://fr.rsf.org/tunisie-report-du-proces-de-fahem-23-03-2010,36071.

15  Ammar Amroussia, op. cit.

16  Ibid.

17  Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives. Cf. présentation de la FTCR par elle-même sur son site web : http://www.citoyensdesdeuxrives.eu/better/index.php?option =com_content&view =article&id =226:presentation-de-la-ftcr&catid =52:histoire-mémoire.

18  Plusieurs appels ont d’ailleurs été lancés pour soutenir le président de la FTCR, Mouhieddine Cherbib, condamné pour « délit de solidarité » avec les émeutiers du bassin minier. Cf. notamment l’appel de la Ligue française des droits de l’Homme : « La LDH solidaire avec Mouhieddine Cherbib et avec la FTCR face à l’intimidation politico-judiciaire de la dictature tunisienne », 22 septembre 2008 : http://www.ldh-france.org/La-LDH-solidaire-avec-Mouhieddine.

19  Le 9 décembre 2008, le Collectif a organisé une réunion d’information et de sensibilisation sur le thème : « Justice et liberté pour les Tunisiens de Redeyef » : http://nantes.indymedia.org/article/15462.

20  Ammar Amroussia, « Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan », op.cit.

21  Il s’agit de Hichem Ben Jeddou El Aleimi, chômeur de 24 ans, décédé par électrocution, de Nabil Chagra heurté accidentellement par un véhicule de la Garde nationale (gendarmerie) et de Hafnaoui Maghazoui tué par balles par la police le 6 juin 2008 à Redeyef. Cf. Éric Gobe, Larbi Chouikha (2009).

22  Houcine Bardi, « Procès du 11 décembre 2008 devant le tribunal de Gafsa. Rapport d’observations judiciaires », op. cit.

23  Béatrice Hibou (2006). Voir aussi la critique de la thèse du « Pacte de sécurité » par Vincent Geisser, Jean-Noël Ferrié et Jean-Louis Rocca (2009, p. 211-226).


Pour citer cet article

Référence électronique

Larbi Chouikha et Vincent Geisser, « Retour sur la révolte du bassin minier. Les cinq leçons politiques d’un conflit social inédit », L'Année du Maghreb [En ligne], VI | 2010, mis en ligne le 11 janvier 2011, consulté le 06 février 2011. URL : http://anneemaghreb.revues.org/923


Auteurs

Chargé de recherche à l’Institut de recherches et d’études sur le monde et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence.

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Professeur en communication de l’Université de la Manouba

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 19:58


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Al Watan le 01.02.11  


Très au fait de la nature des régimes dans le monde arabe, Basma Kodmani, politologue syrienne et directrice de l’Arab Reform Initiative estime, concernant le cas de l’Algérie, que «les Algériens veulent observer d’abord les développements en Tunisie et en Egypte pour s’assurer qu’il y a bien une voie qui mène au succès avant de se lancer».

- Comment analysez-vous la situation actuelle en Egypte ?


L’Egypte vit un processus révolutionnaire et non plus une révolte, puisque toutes les institutions et les acteurs politiques et sociaux sont en mouvement. Toutes les questions économiques, sociales, politiques qui ne sont pas réellement traitées par le pouvoir depuis trois décennies et qui se sont aggravées au cours de la dernière décennie se sont conjuguées pour donner au mouvement populaire toute sa force. La souffrance sociale était devenue objectivement insupportable tandis que se formaient depuis quelques années des mouvements de contestation d’abord très localisés puis de plus en plus structurés. Les Egyptiens étaient connus pour leur quiétude et leur aversion pour le risque. Ils disaient toujours mieux vaut celui que l’on connaît plutôt que celui que l’on ne connaît pas, mais cette fois-ci ils ont préféré l’inconnu. Dans son discours de vendredi dernier, le président Moubarak a brandi l’inconnu comme un loup sauvage qu’il tenait par les oreilles et qui ravagerait tout s’il était lâché, entraînant le chaos. «Moi ou le chaos», disait-il en substance oubliant que s’il y a chaos, ce sera bien à cause de son régime. En ce sens, il a été même en deçà de ce que Ben Ali avait dit puisque Ben Ali avait dit : «Je vous ai compris.»


- Un scénario à la Ben Ali semble moins envisageable dans le cas de Moubarak. Est-ce lié à la nature du régime ou au poids géostratégique de l’Egypte dans la région ?


Le système tout entier est ébranlé et cet Etat qui est l’Etat le plus ancien du monde va se refonder de fond en comble. On a connu l’Egypte monarchique, puis l’Egypte des militaires depuis 1952. Nous assistons à l’avènement de la nouvelle Egypte. C’est en réalité la première révolution qu’a jamais vécue l’Egypte dans toute son histoire puisque le peuple a toujours accueilli pacifiquement et passivement l’arrivée d’un «pharaon» après l’autre. Leur nom changeait (pharaon, roi, raïs), mais leurs prérogatives très peu ! Ce qui paraissait impensable il y a quelques jours est en train de se produire à une vitesse fulgurante. Le poids stratégique de l’Egypte laissait croire que le système sécuritaire était invincible, verrouillé et garanti par des forces extérieures. On croyait le pays enchaîné par ses accords de paix avec Israël, de coopération militaire et sécuritaire avec les Etats-Unis et l’Europe et les programmes d’aide dont il bénéficie de la part de ces pays. Or c’était le régime qui était enchaîné parce qu’il s’était posé en serviteur des intérêts de ces pays. Le peuple voulait la protection de sa sécurité à lui non de celle de la classe dirigeante et des autres pays.


- Omar Souleïmane représente pour la rue la continuité du régime. On dit même que c’est le garant de la stabilité des relations avec Israël. Qu’en pensez-vous ?


L’homme est respecté car il est perçu comme très compétent et intègre, ce qui est une caractéristique rare dans un système où la corruption ronge toutes les institutions. Il est le candidat préféré des Israéliens et des Etats-Unis. S’il avait été nommé par Moubarak il y a encore un mois, il aurait de meilleures chances d’être accepté, mais il arrive bien trop tard. Les Egyptiens sont devenus plus exigeants. Ils parlent tous de leur droit à choisir leurs dirigeants. C’est cela l’état d’esprit qui caractérise les révolutions.


- Vous évoquez dans vos analyses le concept de «sécuritocratie» appliquée dans des pays comme l’Egypte, l’Algérie et la
Syrie. Sur quels fondements est basé ce système ?


C’est tout simplement lorsqu’un pays est gouverné par les institutions de sécurité qui deviennent plus importantes que toutes les autres. Elles sont tellement vitales pour le maintien du pouvoir politique qu’on voit apparaître graduellement un renversement du rapport de forces. Le politique est englouti par la logique sécuritaire et les appareils de sécurité. Les gouvernants politiques ne ressentent plus le besoin de fournir des réponses politiques aux défis de la société. Ils s’en remettent aux hommes de la sécurité qui assurent leur tranquillité et gèrent eux-mêmes les problèmes de la société. De telle sorte que ceux-ci se considèrent les vrais maîtres. La grande faiblesse cependant de cette «sécuritocratie» est que à mesure que les forces multiplient leurs effectifs, les membres de ces appareils sont de moins en moins motivés. En Egypte, ce sont de pauvres va-nu-pieds, des conscrits ayant un salaire de misère. Ils sont chargés de faire régner la peur, mais la peur règne aussi à l’intérieur de leurs rangs. Quand la chape de plomb est soulevée, tout s’écroule.


- Contrairement à la Tunisie, on évoque avec insistance le poids important des Frères musulmans en Egypte. Croyez-vous que cette mouvance est suffisamment forte pour prétendre à prendre le pouvoir dans ce pays dans le cas d’élections libres ?


Les Frères musulmans sont une force réelle en Egypte et il faudra compter avec eux dans tout système politique démocratique. Cela dit, ils sont eux-mêmes en crise depuis quelques années. Ils n’ont pas su emboîter le pas aux nouveaux mouvements de contestation. Leurs dirigeants sont vieux et les jeunes parmi eux n’arrivent pas à imposer leurs vues. Les plus jeunes ne quittent pas le mouvement, mais ils vont créer des sites web et des blogs où ils s’expriment et font part de leurs frustrations.
Cette jeune génération des Frères a trouvé dans l’espace virtuel et dans les mouvements sociaux et de jeunes qui ont proliféré au cours des trois dernières années, l’occasion de dialoguer avec d’autres courants politiques (la gauche, les libéraux, les nationalistes).
En cas d’élections libres, ils voudront certes gagner le plus de voix possible, mais je crois qu’ils seront freinés par trois facteurs : leur participation actuelle à une coalition avec Mohamed El Baradei et d’autres les obligera à négocier un partage des circonscriptions lors d’élections ; deuxièmement, ils ont toutes les chances de se diviser dès lors qu’ils seront obligés de fournir des réponses aux questions difficiles qu’ils ont pu éviter jusque-là ; troisièmement, quand on est attentif aux revendications des manifestants en ce moment, on se dit que les Egyptiens ne voudront plus forcément se réfugier dans l’Islam dès lors qu’ils vivront en démocratie.

- L’épouvantail islamiste est-il l’allié du maintien de la «sécuritocratie» ?


Dans un certain sens oui, puisque le régime de Moubarak comme celui de Ben Ali ont pu profiter de ce formidable alibi. Sans lui et sans le terrorisme de Al Qaida, on aurait peut-être vu le changement plus tôt.  


- Après la Tunisie, l’Egypte a bougé, pensez-vous que le vent de la révolution va toucher d’autres pays arabes ?


Les autres régimes arabes tremblent tous. Les bourses dans les pays du Golfe ont dégringolé. Des fortunes sont sans doute en train d’être transférées à l’étranger. Malgré l’énormité des appareils de sécurité de tous ces pays, ils savent tous qu’ils n’auront aucun recours le jour où les peuples décideront de ne plus se taire. Les sociétés arabes sont toutes en train de briser les chaînes. En Arabie Saoudite, ce sont les revendications de libertés sociales et le ressentiment à l’égard des dépenses indécentes des dirigeants qui ont mobilisé des manifestants, hommes et femmes, descendus manifester ensemble dans la rue, du jamais vu ! Nous n’aurons sans doute plus de mal à expliquer que le monde arabe existe. On vient de voir que c’est un seul tissu social qui vibre d’un bout à l’autre.

 

- Que pensez-vous du cas algérien ?

 
L’Algérie est prête depuis longtemps. Mais les Algériens son traumatisés par leur expérience et ne peuvent se lancer dans l’inconnu une nouvelle fois. Pourtant votre pays ne manque de rien, ni de talents, ni de figures intègres, ni bien entendu de ressources. On a l’impression que les Algériens veulent observer d’abord les développements en Tunisie et en Egypte pour s’assurer qu’il y a bien une voie qui mène au succès avant de se lancer.

 

- Certains analystes affirment que ce début d’année fortement tourné dans les pays arabes vers la révolte n’est pas le seul fruit d’un mouvement spontané et que des puissances occidentales, notamment les Etats-Unis et la France, n’y sont pas étrangères. Quel est pour vous le poids d’une telle analyse ?


Je n’en crois pas un mot. Les puissances occidentales sont inquiètes du changement car elles ont des intérêts vitaux dans les pays arabes et se sont habituées à les traiter avec les mêmes hommes. Elles sont aussi aveuglées par la menace islamiste au point qu’elles ne voient rien derrière. Elles ne croient pas le monde arabe prêt pour la démocratie, mais ce sont plutôt elles qui ne sont pas prêtes pour la démocratie dans le monde arabe.

Nadjia Bouaricha
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