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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 19:58


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Al Watan le 01.02.11  


Très au fait de la nature des régimes dans le monde arabe, Basma Kodmani, politologue syrienne et directrice de l’Arab Reform Initiative estime, concernant le cas de l’Algérie, que «les Algériens veulent observer d’abord les développements en Tunisie et en Egypte pour s’assurer qu’il y a bien une voie qui mène au succès avant de se lancer».

- Comment analysez-vous la situation actuelle en Egypte ?


L’Egypte vit un processus révolutionnaire et non plus une révolte, puisque toutes les institutions et les acteurs politiques et sociaux sont en mouvement. Toutes les questions économiques, sociales, politiques qui ne sont pas réellement traitées par le pouvoir depuis trois décennies et qui se sont aggravées au cours de la dernière décennie se sont conjuguées pour donner au mouvement populaire toute sa force. La souffrance sociale était devenue objectivement insupportable tandis que se formaient depuis quelques années des mouvements de contestation d’abord très localisés puis de plus en plus structurés. Les Egyptiens étaient connus pour leur quiétude et leur aversion pour le risque. Ils disaient toujours mieux vaut celui que l’on connaît plutôt que celui que l’on ne connaît pas, mais cette fois-ci ils ont préféré l’inconnu. Dans son discours de vendredi dernier, le président Moubarak a brandi l’inconnu comme un loup sauvage qu’il tenait par les oreilles et qui ravagerait tout s’il était lâché, entraînant le chaos. «Moi ou le chaos», disait-il en substance oubliant que s’il y a chaos, ce sera bien à cause de son régime. En ce sens, il a été même en deçà de ce que Ben Ali avait dit puisque Ben Ali avait dit : «Je vous ai compris.»


- Un scénario à la Ben Ali semble moins envisageable dans le cas de Moubarak. Est-ce lié à la nature du régime ou au poids géostratégique de l’Egypte dans la région ?


Le système tout entier est ébranlé et cet Etat qui est l’Etat le plus ancien du monde va se refonder de fond en comble. On a connu l’Egypte monarchique, puis l’Egypte des militaires depuis 1952. Nous assistons à l’avènement de la nouvelle Egypte. C’est en réalité la première révolution qu’a jamais vécue l’Egypte dans toute son histoire puisque le peuple a toujours accueilli pacifiquement et passivement l’arrivée d’un «pharaon» après l’autre. Leur nom changeait (pharaon, roi, raïs), mais leurs prérogatives très peu ! Ce qui paraissait impensable il y a quelques jours est en train de se produire à une vitesse fulgurante. Le poids stratégique de l’Egypte laissait croire que le système sécuritaire était invincible, verrouillé et garanti par des forces extérieures. On croyait le pays enchaîné par ses accords de paix avec Israël, de coopération militaire et sécuritaire avec les Etats-Unis et l’Europe et les programmes d’aide dont il bénéficie de la part de ces pays. Or c’était le régime qui était enchaîné parce qu’il s’était posé en serviteur des intérêts de ces pays. Le peuple voulait la protection de sa sécurité à lui non de celle de la classe dirigeante et des autres pays.


- Omar Souleïmane représente pour la rue la continuité du régime. On dit même que c’est le garant de la stabilité des relations avec Israël. Qu’en pensez-vous ?


L’homme est respecté car il est perçu comme très compétent et intègre, ce qui est une caractéristique rare dans un système où la corruption ronge toutes les institutions. Il est le candidat préféré des Israéliens et des Etats-Unis. S’il avait été nommé par Moubarak il y a encore un mois, il aurait de meilleures chances d’être accepté, mais il arrive bien trop tard. Les Egyptiens sont devenus plus exigeants. Ils parlent tous de leur droit à choisir leurs dirigeants. C’est cela l’état d’esprit qui caractérise les révolutions.


- Vous évoquez dans vos analyses le concept de «sécuritocratie» appliquée dans des pays comme l’Egypte, l’Algérie et la
Syrie. Sur quels fondements est basé ce système ?


C’est tout simplement lorsqu’un pays est gouverné par les institutions de sécurité qui deviennent plus importantes que toutes les autres. Elles sont tellement vitales pour le maintien du pouvoir politique qu’on voit apparaître graduellement un renversement du rapport de forces. Le politique est englouti par la logique sécuritaire et les appareils de sécurité. Les gouvernants politiques ne ressentent plus le besoin de fournir des réponses politiques aux défis de la société. Ils s’en remettent aux hommes de la sécurité qui assurent leur tranquillité et gèrent eux-mêmes les problèmes de la société. De telle sorte que ceux-ci se considèrent les vrais maîtres. La grande faiblesse cependant de cette «sécuritocratie» est que à mesure que les forces multiplient leurs effectifs, les membres de ces appareils sont de moins en moins motivés. En Egypte, ce sont de pauvres va-nu-pieds, des conscrits ayant un salaire de misère. Ils sont chargés de faire régner la peur, mais la peur règne aussi à l’intérieur de leurs rangs. Quand la chape de plomb est soulevée, tout s’écroule.


- Contrairement à la Tunisie, on évoque avec insistance le poids important des Frères musulmans en Egypte. Croyez-vous que cette mouvance est suffisamment forte pour prétendre à prendre le pouvoir dans ce pays dans le cas d’élections libres ?


Les Frères musulmans sont une force réelle en Egypte et il faudra compter avec eux dans tout système politique démocratique. Cela dit, ils sont eux-mêmes en crise depuis quelques années. Ils n’ont pas su emboîter le pas aux nouveaux mouvements de contestation. Leurs dirigeants sont vieux et les jeunes parmi eux n’arrivent pas à imposer leurs vues. Les plus jeunes ne quittent pas le mouvement, mais ils vont créer des sites web et des blogs où ils s’expriment et font part de leurs frustrations.
Cette jeune génération des Frères a trouvé dans l’espace virtuel et dans les mouvements sociaux et de jeunes qui ont proliféré au cours des trois dernières années, l’occasion de dialoguer avec d’autres courants politiques (la gauche, les libéraux, les nationalistes).
En cas d’élections libres, ils voudront certes gagner le plus de voix possible, mais je crois qu’ils seront freinés par trois facteurs : leur participation actuelle à une coalition avec Mohamed El Baradei et d’autres les obligera à négocier un partage des circonscriptions lors d’élections ; deuxièmement, ils ont toutes les chances de se diviser dès lors qu’ils seront obligés de fournir des réponses aux questions difficiles qu’ils ont pu éviter jusque-là ; troisièmement, quand on est attentif aux revendications des manifestants en ce moment, on se dit que les Egyptiens ne voudront plus forcément se réfugier dans l’Islam dès lors qu’ils vivront en démocratie.

- L’épouvantail islamiste est-il l’allié du maintien de la «sécuritocratie» ?


Dans un certain sens oui, puisque le régime de Moubarak comme celui de Ben Ali ont pu profiter de ce formidable alibi. Sans lui et sans le terrorisme de Al Qaida, on aurait peut-être vu le changement plus tôt.  


- Après la Tunisie, l’Egypte a bougé, pensez-vous que le vent de la révolution va toucher d’autres pays arabes ?


Les autres régimes arabes tremblent tous. Les bourses dans les pays du Golfe ont dégringolé. Des fortunes sont sans doute en train d’être transférées à l’étranger. Malgré l’énormité des appareils de sécurité de tous ces pays, ils savent tous qu’ils n’auront aucun recours le jour où les peuples décideront de ne plus se taire. Les sociétés arabes sont toutes en train de briser les chaînes. En Arabie Saoudite, ce sont les revendications de libertés sociales et le ressentiment à l’égard des dépenses indécentes des dirigeants qui ont mobilisé des manifestants, hommes et femmes, descendus manifester ensemble dans la rue, du jamais vu ! Nous n’aurons sans doute plus de mal à expliquer que le monde arabe existe. On vient de voir que c’est un seul tissu social qui vibre d’un bout à l’autre.

 

- Que pensez-vous du cas algérien ?

 
L’Algérie est prête depuis longtemps. Mais les Algériens son traumatisés par leur expérience et ne peuvent se lancer dans l’inconnu une nouvelle fois. Pourtant votre pays ne manque de rien, ni de talents, ni de figures intègres, ni bien entendu de ressources. On a l’impression que les Algériens veulent observer d’abord les développements en Tunisie et en Egypte pour s’assurer qu’il y a bien une voie qui mène au succès avant de se lancer.

 

- Certains analystes affirment que ce début d’année fortement tourné dans les pays arabes vers la révolte n’est pas le seul fruit d’un mouvement spontané et que des puissances occidentales, notamment les Etats-Unis et la France, n’y sont pas étrangères. Quel est pour vous le poids d’une telle analyse ?


Je n’en crois pas un mot. Les puissances occidentales sont inquiètes du changement car elles ont des intérêts vitaux dans les pays arabes et se sont habituées à les traiter avec les mêmes hommes. Elles sont aussi aveuglées par la menace islamiste au point qu’elles ne voient rien derrière. Elles ne croient pas le monde arabe prêt pour la démocratie, mais ce sont plutôt elles qui ne sont pas prêtes pour la démocratie dans le monde arabe.

Nadjia Bouaricha
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