J'avais souhaité - très modestement - qu'on parle de moi en Conseil des ministres, mais à en croire le Canard Enchainé du 7 juin, j'ai été servi! Un dialogue se serait engagé entre le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux sur la pratique du tribunal pour enfants de Bobigny lors des événements d'octobre et décembre dernier.
Pour M Sarkozy, c'est la faute du président du tribunal pour enfants - "ma pomme" pour ceux qui ne le sauraient pas - s'il n'y a pas eu de mineurs incarcérés. Il faudrait donc se débarrasser dudit président.
Impossible répond le ministre de la justice : ce magistrat du siège ne peut partir que s'il le demande - il est inamovible! - et il faudrait qu'il demande un avancement. Et le ministre de l'intérieur de s'inquiéter qu'on ne puisse pas se débarrasser d'un magistrat hors de tout avancement
- Il faut reformer ces règles !
- Les syndicats s'y opposent !
Il semblerait que le premier ministre soit venu rétablir la paix sociale au sein du gouvernement en exigeant pour les mineurs plus de fermeté - clin d'oeil à Sarkozy - et justice - merci pour eux et pour moi! -
On pourra rigoler de tout cela, mais quand même un peu jaune. Il y a de quoi.
Et déjà un ministre de l'intérieur qui veut la tête d'un président de juridiction car les juges n'ont pas eu la pratique attendue d'eux ! Au passage c'est donner beaucoup de pouvoir à un président de tribunal. Certains collègues n'ont pas manqué de me dire : "Si tu avais de l'autorité sur nous, cela se saurait! " Bref, un tribunal n'est pas un commissariat!
C'est déjà fort de café qu'un ministre de la République s'assoit en Conseil des ministres sur une garantie constitutionnelle donnée aux justiciables - l'inamovibilité des magistrats du siège - en envisageant qu'un magistrat soit obligé de quitter ses fonctions hors faute disciplinaire. Le ministre ex-avocat n'est pas à une "révolution juridique" près. Il y a quelques jours il remettait déjà en cause la non-rétroactivité des lois pénales autour des meurtres sexuels d'enfants. Aujourd'hui même il a à nouveau proposé de porter atteinte à la liberté de juger par l'introduction de peines-plancher! S'il n'y a pas de quoi être inquiet par l'ordre juridique qui se dessine pour demain!
Reste les contre-vérités dans le propos ministériel heureusement peu de journalistes gobent aujourd'hui. Nous n'avons eu aucun mérite tous autant que nous fûmes à assurer la permanence pendant les évènements de cet hiver à ne pas incarcérer à outrance : la matière n'y était pas!!!
Faut-il rappeler que dans 35% des 118 cas, il n'y avait pas de quoi mettre les mineurs en examen dans les dossiers présentés au Juge des enfants de permanence à Bobigny. De même le tribunal correctionnel a-t-il prononcé un bon tiers de relaxe pour les majeurs dont il a eu à connaître !
Par ailleurs, contrairement à une affirmation de l'intérieur, 65% des mineurs déférés n'étaient pas connus de la justice. Ce qui posait d'ailleurs un vrai problème pour l'analyse des événements. En d'autres termes il fallait d'abord essayer de comprendre ce qui avait pu amener ces jeunes à participer à ces émeutes et fréquemment mettre en oeuvre des mesures éducatives sinon prndre des mesures de sureté. Et puis, tout simplement, sur 118 mineurs nous n'avons eu que 11 réquisitions de mandat de dépôt concentrées sur deux ou trois jours et notamment dans des affaires qui n'ont pas donné lieu à mise en examen, dès lors la saisine du JLD n'était pas possible. Dans d'autres cas, possible, elle a être refusée par le juge. La cour d'appel n'a pas eu a prendre des mesures contraires. Une fois, elle a été acceptée et il y a eu incarcération contrairement à ce que dit le ministre.
Avons-nous à rougir de la réponse apportée par la justice - celle des majeurs comme celle des mineurs - aux évènements ? Certainement pas ! Grâce à notre travail et bien sûr à celui des forces de l'ordre, des maires, des éducateurs des équipes de prévention et de nombreux militants de quartier on a évité que la crise dégénère. La justice a pris sa place dans l'apaisement retrouvé. Doit-on rappeler qu'elle s'est arrêtée en Seine Saint-Denis en premier.
Alors on peut avoir le mythe de l'incarcération, il faut d'abord avoir celui d'une gestion intelligente de l'ordre public et du respect de la loi. Les magistrats de Bobigny, ont su tenir les équilibres qui s'imposaient.
Ce qui est intéressant c'est qu'aujourd'hui 8 juin le ministre de l'intérieur-candidat persistait et signait en prenant encore l'exemple de Bobigny. Fort heureusement, le même jour paraissait une étude sur la violence dans les établissements scolaires très alarmiste quand les dernières statistiques publiées par les pouvoirs publics étaient plutôt optimistes : maintien de la délinquance des mineurs en 2005 par rapport à 2004 ! On s'y perd. Il va falloir regarder cela de près. Et on va commencer à contester le bilan positif dressé par le ministre. Laissons ceux là faire.
Je ne veux m'arrêter que sur un point. Heureusement, contrairement à ce qu'avance M. Sarkozy que la mesure de base reste l'avertissement appelé admonestation. La grande majorité des 65 000 jeunes poursuivis ne méritent rien d'autre. Ce qui ne veut pas dire que le travail éducatif ne se poursuive pas pour des jeunes qui ont pu être admonestés. Au contraire, c'est souvent le cas. J'ai déjà eu l'occasion de dire que dans 35-40% des cas ce sont des mesures coercitives qui sont prises quand la loi veut qu'elle soient exceptionnelles. (Conf note ). Je voudrai utiliser un autre argument.
Si la réponse par l'incarcération ou la privation de liberté était la réponse comment le ministre peut -il nous expliquer qu'en 4 ans son gouvernement n'ait ouvert que 170 places de CEF et s'apprête à ouvrir un peu moins de 600 places d'incarcération dans 7 EPM ! N'est-pas avouer que le besoin d'incarcération ou de privation de liberté est résiduel quand dans le même temps on laisse à penser à l'opinion qu'il est massif! On peut pas gagner sur les tous les tableaux!
Chacun sait que notre dispositif est perfectible. le ministre de l'intérieur, je l'ai dit, vise tout simplement à faire sortir du droit de l'enfance les plus de 16 ans! C'est son droit, mais doit-on l'accepter aussi aisément ? Les professionnels que nous sommes disent plutôt : "Donnez nous les moyens d'appliquer l'ordonnance de 1945 et améliorons la encore à la marge si nécessaire". Et surtout : "Quand nous parlerez-vous vraiment des actions à développer pour prévenir la délinquance". La peur du gendarme ne saurait suffire.
Perfide j'ajoute : quitte à rappeler la loi aux jeunes, respectons là : pour les simples quidams ou pour les champions olympiques! Qui fait le plus de mal à la justice ? Les juges ou certaines pratiques injustes ?
En tous cas, j'observe une nouvelle fois que Bobigny a décroché le gros lot médiatique avec le TGI et son tribunal pour enfants. Son nom est universellement connu. Je ne doute pas que le TE obtiendra un jour la médaille de la ville de Bobigny !
Quand à tous ces ces sujets intéressant à à aborder au conseil des ministres de la semaine dernière qui ne l'ont pas été comme, par exemple, la nomination d'un(e) successeur à Claire Brisset , Défenseure des enfants, atteint par la fin de son mandat depuis maintenant un bon mois et demi.
Effectivement il vaut mieux rire de tout cela !!!