A la délégation du PCF
au Collectif national unitaire antilibéral
La fronde que vous avez affrontée en ce dimanche 10 décembre n'est pas un avertissement gratuit. Le courant unitaire antilibéral qui enfle dans ce pays pour que les choses et la vie changent ne peut en aucune façon être réduit à la satellisation autour du Parti communiste français. Le processus de rassemblement pluraliste des forces antilibérales dans lequel nous sommes engagés ne peut s'accommoder du passage en force ou de l'imposition majoritaire. Il est donc essentiel que vous ne profitiez pas de la semaine qui vient pour une nouvelle manoeuvre qui aboutirait à l'impasse et à l'échec, ce que la lecture de l'interview de Marie-George Buffet dans L'Humanité de ce matin laisse présager.
Il serait temps que vous compreniez la nature et le sens de ce rassemblement antilibéral unitaire et que vous compreniez ce qu’est véritablement, en dehors de vous, la galaxie de la gauche antilibérale. Je ne peux me résoudre à croire que l'aveuglement et l'arrogance des colosses aux pieds d'argile vous tiennent lieu de politique. Nous savons tous que même si la charge était belle et le son du clairon entraînant, la brigade légère a fini dans la débandade et la catastrophe.
Il serait temps que vous compreniez qu'il n'est pas bon pour nous tous de renouer avec les méthodes, les pratiques et les comportements d'un autre âge. Vous allez, si vous persévérez dans cette voie, réussir l'exploit historique de détruire en quelques semaines la confiance et la compréhension que nous avions patiemment, assidûment, avec acharnement, souvent malgré les nôtres, tenté de reconstruire entre votre parti et nos cultures politiques.
Laissez-moi vous raconter une histoire personnelle qui en vaut bien une autre. Il y a une trentaine d'années, alors que par dizaines nous étions arrêtés par la Sécurité militaire, jetés dans des culs de basse fosse ou déférés devant la Cour de sûreté de l'État pour avoir milité en faveur des libertés démocratiques au sein des armées, le PCF n'avait pas eu alors assez de mots pour nous dénoncer. Que de chemin il a fallu parcourir pour rattraper cela car, ayez bien cela à l’esprit, les centaines de jeunes appelés du contingent qui ont participé à ce dur combat sont aujourd'hui dirigeants syndicaux, dirigeants associatifs, universitaires, cinéastes, que sais-je encore? Nous nous sommes réunis à la fin de l'été dernier avec quelques-uns de ces si particuliers « copains de régiment » et j’ai pu leur expliquer ce que nous faisions ensemble et combien, notamment après la victoire contre le TCE, l'évolution du PCF au cours des dernières années changeait la donne politique et ouvrait la possibilité d'une reconstruction à gauche. Il m’a fallu beaucoup discuté pour convaincre de votre évolution. Certains de ces camarades, notamment ceux qui exercent aujourd’hui des responsabilités syndicales, m'ont appelé ces derniers jours, inquiets du cours pris par votre parti. J'ai expliqué, défendu ce qui était défendable, souligné les difficultés sans rien cacher, ni l'indéfendable ni l'enjeu majeur qui est devant nous. Il nous faut réussir, chacun le ressent profondément, malgré les vieux mauvais souvenirs. Mais face à votre comportement politique, le scepticisme gagne et enfle. Les mauvais souvenirs – qui sont aussi pour notre génération autant de bons souvenirs – reprennent le dessus. Ce n’est plus à moi de dissiper les réserves et les préventions contre vous. J’ai fait ce que j’ai pu et ce que j’ai cru devoir faire pour que se forge et se rassemble une gauche de combat. C’est à vous désormais de donner un signal fort. La même histoire peut d’ailleurs, j'en suis certain, se raconter avec celles et ceux qui avaient 20 ans en Mai 68, avec celles et ceux qui ont pratiqué clandestinement les avortements au temps du MLAC, avec celles qui ont construit le féminisme, avec celles et ceux qui ont combattu le productivisme capitaliste et le tout nucléaire, avec celles et ceux qui ont cru à la possibilité d'un renouveau démocratique du socialisme dans les pays de l'Est. J'en passe. La liste est longue et ce n'est pas la litanie des portes d'usines où Marie-George Buffet est accueillie à bras ouverts qui changera quelque chose à cette donnée politique, sociale, historique. Arlette Laguillier est, elle aussi, accueillie avec chaleur à la porte des entreprises. Et alors? Qu'est ce que ça change ?
Il serait temps que vous compreniez que le temps des compagnons de route plus ou moins dociles qui ne voulaient pas désespérer Billancourt est révolu. Les composantes organisées et inorganisées qui participent au rassemblement représentent des générations et des cultures militantes qui se sont construites non seulement en dehors du PCF mais contre lui. C'est un fait, et non une attaque anticommuniste, et il est temps d'en prendre la mesure pour aller plus avant dans le dépassement des antagonismes anciens. ll serait temps que vous compreniez que le rassemblement en cours est le fruit de dizaines d'années d'évolution respective, de batailles politiques et d'un lent mûrissement des conditions objectives et subjectives, comme on disait autrefois. Celles et ceux qui ont tenté de vous convaincre de l'erreur de vouloir organiser la campagne autour de votre secrétaire nationale représentent plus qu'une addition arithmétique de militant(e)s. lls et elles ont une influence sur de larges couches de salarié(e)s, de militant(e)s syndicaux, associatifs, écologistes, féministes, altermondialistes… et qu’ils et elles se sont construits, sinon en force politique, mais en sujet collectif. ll serait temps que vous compreniez pourquoi et comment vous êtes passés en un quart de siècle de 20% de l'électorat à 2%, affaiblissant par là-même, quoi que l’on puisse penser de votre politique, les capacités de combat du « peuple de gauche ». ll serait temps que vous compreniez pourquoi vos propres camarades, tel Georges Séguy, ou les quelques intellectuels qui vous accompagnent encore, vous disent « attention, ressaisissez vous ! ».
Oui il est temps de vous ressaisir pour que nous sortions victorieux ensemble de l'impasse dans laquelle vous vous êtes enfermés.
Si vous ne voulez ni comprendre ni prendre en compte les signaux qui viennent de l’histoire sociale et politique de ce pays, si vous vous ne voulez pas comprendre d’où vient le « blocage », si vous persistez à penser que l’issue réside dans une manœuvre visant à faire croire que la « parole » des collectifs locaux est confisquée par les « organisations représentées dans le collectif national », alors les conséquences seront très graves et laisseront des traces indélébiles.
1) Il apparaîtra que la mutation du PCF n’aura été que superficielle et qu’elle aura volé en éclat à la première échéance importante. Il est facile de prévoir la suite…
2) Quoi que nous fassions, et quels que soient les montages organisationnels que vous proposez, la campagne de la secrétaire nationale du PCF sera perçue comme un simple ralliement derrière vous. Quand bien même les autres organisations vous suivraient –ce qu’elles ne feront pas –, comment pouvez-vous imaginer que tous ceux et celles qui souffrent dans ce pays et qui aspirent au changement vous accorderaient leur confiance alors même qu’ils vous la refusent de plus en plus dans les urnes depuis des décennies ?
3) L’issue électorale ne sera pas à la hauteur des espérances et des nécessités et il sera apparu clairement que le PCF qui aurait pu être le parti de l’impulsion ne sera en réalité que celui de la division du mouvement politico-social en gestation. Et, quoi que vous fassiez et quoi que vous disiez, la direction de ce parti en portera la responsabilité.
Contrairement à ce que laisse croire ce matin Marie-George Buffet dans les colonnes de L’Humanité et sur les ondes, l’issue est bien aujourd’hui entre les mains du PCF, une grosse « organisation », mais une organisation parmi d’autres au sein des collectifs et du collectif national unitaire. Les collectifs vous l’ont dit hier : « Ne changez pas la règle du jeu en cours de partie », « Ne détournez pas le sens de l’idée de « double consensus ». Des avertissements vous ont été donnés, provenant d’horizons divers, y compris de l’intérieur même de votre propre parti. Sachez les entendre. Des propositions vous ont été faites pour sortir du blocage et éviter l’échec. Sachez vous en saisir. Ça urge !
Patrick Silberstein, médecin, éditeur, membre du collectif national unitaire
Lundi 11 décembre