Le journal de la délégation
des Alternatifs au (7e)
Forum Social Mondial de Nairobi
Demain commence le 7ème Forum Social Mondial.
Après une édition asiatique, quatre sud-américaines et une édition polycentrique (Mali, Venezuela et Pakistan), le forum se tient pour la première fois dans le sud de l’Afrique à Nairobi, la capitale du Kenya. La ville a mauvaise réputation. Lonely Planet, le Gault et Millau du tourisme de masse, lui a même décerné le prix de la ville la plus dangereuse d’Afrique. En général, les étrangers, quand ils ne sont pas réfugiés de Somalie, d’Ouganda ou du Rwanda, ne viennent ici que le temps d’un transit avant d’aller taquiner le lion en safari ou bronzer sur la côte. Grillages et barreaux à tous les étages, barbelés protégeant les squares, policiers en nombre, bâtons en bois à la main, vigiles partout. Au premier abord, la ville pourrait effectivement se résumer à un portrait de paranoïa sécuritaire. Mais ce n’est qu’une partie de la réalité de Nairobi. En banlieue, les quartiers riches, fermés à la circulation des non-résidents, ressemblent à leurs homologues brésiliens ou vénézueliens : de jolies villas, de grands espaces, du barbelé, de belles plantes exotiques, des barbelés, des gardiens, de petites rues paisibles ... et des barbelés.
Le centre ville est bien plus populaire et vivant. Une foule permanente marche du matin au soir, énormément de costumes trois pièces et de tailleurs traversent la ville, pas ou si peu de boubous. Elle paraît dynamique sans non plus sembler exploser en tout sens comme certaines capitales du sud en plein développement. Elle ne parait d’ailleurs pas si pauvre, cette ville, si l’on n’attarde pas son regard sur les petits groupes d’enfants, le nombre d’estropiés et de malades. La nuit, il n’y a plus qu’eux dehors et les guides concluent : "prenez le taxi, on ne se promène pas de nuit à Nairobi".
C’est ici que se prépare le forum. Pour l’instant, c’est bien discrètement : quelques papiers dans la presse nationale, quelques professionnels du tourisme au fait de cette manne financière (le prix des hôtels vient de doubler en 24 heures !), mais pas d’affiches ou banderolles omniprésentes (comme à Caracas ou Porto Alegre), pas de graffitis comme à Mumbai. Doucement, l’information circule. Dans la rue, on nous salue "welcome, World Social Forum guys !". Un sourire, un geste. Quelque chose de touchant. Ce matin la marche d’ouverture du forum amènera de la lointaine banlieue au centre les 80000 inscrits du forum, et sans doute d’autres manifestants kenyans, au nom de la paix (10 kilomètres de manif, tout de même !). Quant au forum, il faut attendre encore pour en connaître la teneur. Mais la proximité avec la Somalie et la situation sanitaire du pays sont telles que les questions de la guerre, de la religion et du sida seront assurément très présentes cette année. L’anecdote d’Alain : Arrivée avant hier, hôtel sympa et simple au centre ville à 11h du soir. Nous passons donc notre première journée à l’aventure, à la recherche des accréditations (mais c’est une autre histoire !). De retour à l’hôtel, vers 18h, surprise : le prix de la chambre avait doublé dans la journée !! La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre ... le forum et sa cohorte de délégués de tous les pays. Les hôtels se remplissent et beaucoup, les moins chers, sont complets d’un seul coup !
Il y a comme une tradition propre aux forums sociaux mondiaux : commencer par un cafouillage, un raté, du retard. Ainsi, à chaque forum depuis le premier à Porto Alegre, le programme a été disponible de plus en plus tard. A Bombay et à Caracas, se furent des réunions déplacées ou annulées au dernier moment à Bamako. Pour ce forum Kenyan, c’est la manifestation d’ouverture qui fait les frais des problèmes d’organisation. Organisés ce matin à 10Km du centre ville, annoncée nulle part, avec un programme pas encore imprimé, la manifestation d’ouverture a accumulé les handicaps.
Nous étions donc peu nombreux à ce rassemblement à la lisière d’un quartier très populaire de la banlieue de Nairobi, ou du moins, moins nombreux que le nombre d’inscrits aux forums pouvaient nous le laisser espérer. Une bonne partie des militants altermondialistes étrangers étant encore dispersés en ville à la recherche d’infos. Malgré cette dimension exceptionnelle, cette mobilisation a concerné quelques éléments constants des ouvertures. il fut jeune, dynamique et populaire avec un très fort ancrage local. En rapport avec l’actualité de cette région, la guerre du Darfour et en Somalie, le thèmes était la paix. il y avait donc beaucoup de drapeau "pace". Néanmoins, les forces les plus présentes furent des groupes confessionnels kenyans, venus en groupe de quartiers populaires de Nairobi ou en bus de province, des groupes structurés autour d’une paroisse, d’une association cultuelle ou d’une des multiples sectes chrétiennes qui se développent au Kenya, ils reprenaient les slogans altermondialistes mâtinés de références bibliques. Cette présence était d’autant plus frappante que les syndicats et les partis kenyans n’avaient simplement pas de cortèges ! Doit-on comprendre que les seules structures collectivisées impliquées dans le forum sont confessionnelles ? Sans doute pas ! Mais leur présence, sans commune mesure avec les autres forums dans cette manifestation et dans le programme, est en tout cas notable.
Les autres cortèges kenyans étaient surtout environementalistes ou de défense des plus pauvres (associations des Sans, de bidonvilles...) et de lutte contre le SIDA. Si des délégués d’autres pays africains étaient bien présents, seuls les Sarahouis et une association de Soweto (Afrique du sud) avaient de véritables cortèges avec dromadaires pour les Sarahouis s’il vous plaît ! (Les mêmes qu’à Bamako ?) Côté asiatique, outre quelques drapeaux syndicaux coréens, une délégation indienne était assez importante (en particulier les Dalits, caste regroupant les indiens les plus pauvres). Si les Brésiliens étaient très présents (ils ont 500 délégués inscrits au forum), les autres sud américains étaient bien discrets (en particulier nous n’avons vu ni Boliviens ni Vénézuéliens). Ajoutons pour l’Amérique du Nord, des Québécois venus aussi en nombre. Quant aux européens, si l’on reconnaissait deci-delà un drapeau de Rifondazione, quelques T-Shirt militants suédois ou de militants Allemands, Anglais ou Espagnols en petit nombre, seules les sectes trotskystes anglaises, venues en nombre ont pu former un cortège. Côté Français, ajoutons quelques drapeaux de la CGT, 4 drapeaux des Alternatifs et deux militants verts.
Arrivés en centre ville, nous avons retrouvés beaucoup d’autres militants altermondialistes venus compléter leurs inscriptions. A en croire Edward Oyugi, président du comité d’organisation il y avait hier d’inscrits 50 000 Kenyans et 20 000 ressortissants des pays de l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda) et 10 000 participants du reste de l’Afrique. Ajoutons 2 000 européens et le même nombre de Sud américains. Voilà les gros contingents de ce forum. Oyugi est surtout inquiet des problèmes de trésorerie. Après avoir réduit de moitié le budget du forum pour rentrer dans le budget correspondant aux aides promises, les organisations n’ont finalement reçu que la moitié de ce nouveau budget. Une compagnie privée de téléphonie mobile, embarqué dans l’aventure au titre de "mécène" a quant à elle, "oublié" ses engagements à décorer la ville de banderoles aux couleurs du forum. Voilà donc une ouverture de forum des plus ordinaires avec des organisateurs dépassés sur l’ampleur de la tâche et une manif d’ouverture vivante, dynamique et populaire. Il y avait aussi quelque chose de poignant pour nous à voir ces manifestants kenyans courir un petits trôts en chantant des chansons de lutte des Sud Africains. Tout comme le "El pueblo unido" des manifestations lors des forums sud américains, ou les références à Gandhi des participants du FSM indien, nous manifestions au son d’un des éléments constitutifs d’un imaginaire mondial des luttes... Enfin, sur 10 Km au pas de course, tout de même !
Enfin le Forum !
Après les cafouillages que nous décrivions hier, la machine du Forum s’est mise en branle. Des participants nombreux et d’origines variées, des premiers débats de qualité, à la fois de nouveaux thèmes et la continuité des débats entamés les années précédentes. Le Forum est organisé autour du stade avec toute une série de chapiteaux à l’extérieur pour accueillir stands et débats, et, à l’intérieur un ingénieux système de découpage des tribunes, permettant de multiplier les espaces de débat. Seul point noir évident, et quel point noir, la faible participation des Kenyans : en dehors des réunions organisées par les associations confessionnelles, ils sont quasiment absents des autres ateliers. En creusant un peu, on constate que les syndicats et partis kenyans n’ont pas réussi à (voulu ?) mobiliser leurs militants. Une autre raison saute aux yeux, celle-là ; les prix ! Le prix de l’inscription, les coûts des transports jusqu’à ce stade excentré à 10 Km et les tarifs pratiqués pour l’alimentation et la boisson ; pour une petite bouteille d’eau par exemple, l’équivalent d’1 euro !
C’est ce qui a poussé le Kengo (Kenya Network of grassroots organizations, Réseau kenyan des organisations de base) a organiser, en plein centre ville, sa propre réunion, le "Bunge la Mawananhi" (Parlement du peuple) durant toute la période du Forum. Nous nous y sommes rendus en fin d’après-midi. La proportion entre Kenyans et étrangers s’est tout à coup inversée, les Alternatifs étant les seuls européens présents.
Des échanges humainement et politiquement forts : une grande colère de ne pas pouvoir participer à un Forum dont ils attendaient beaucoup et en même temps, une grande attente de ce qui s’y passait et de savoir ce que nous en pensions. Les participants du parlement du peuple ont dénoncé une confiscation du Forum par les élites kenyanes. Pour eux, ces "docteurs" ou "spécialistes" qui animent des ONG ne représentent pas une société civile ou des mouvements politiques opposés au pouvoir institutionnel, ce sont les mêmes qui siègent au parlement et profitent du Forum pour faire leur campagne électorale. Nous avons rencontré là un autre visage de Nairobi, pauvre, politisé en colère et curieux. Nous y retournons bien sur demain. Un petit d’oubli d’hier concernant la manifestation : un dialogue déstabilisant avec des scouts, réfugiés au Kenya et orphelins de génocidaires rwandais. Ils regrettaient l’attitude hostile du gouvernement rwandais actuel vis-à-vis de la France, douloureux rappel du rôle de la France lors du génocide.
FSM à Nairobi (la veille de la fermeture du forum)
"Peut-être n’était-ce pas le bon pays pour faire un forum international". C’est l’interrogation que Christophe Aguiton, membre du Comité international des forums mondiaux, nous avait fait partager au matin du 2ème jour des débats.
Il n’était pas le seul à s’interroger tant le forum, malgré la qualité du programme et le nombre d’intervenants étrangers, semblait loin du chaudron de la révolution bolivarienne, des mobilisations de masse indiennes ou de la dynamique brésilienne. Le forum avait bien commencé. Mais y manquait la population de Nairobi et les forces progressistes. Quelque chose de pourri au royaume des MauMau ? Il faut d’abord chercher les raisons de cette faible participation dans l’absence des mouvements politiques et syndicaux kenyans, sans doute imputable à la situation politique du pays. Pendant de longues années, le Kenya a payé le prix fort de la confrontation est-ouest. Moi, le président autoritaire du pays, qui n’a du son exceptionnelle longévité qu’à l’appui sans failles des USA et de la Grande Bretagne, a su empêcher l’émergence de tous les mouvements d’opposition. A sa chute, fruit du désinvestissement américain après l’effondrement soviétique, le Kenya s’est retrouvé avec un paysage politique dévasté : des syndicats corporatistes et corrompus, une opposition progressiste laminée et étêtée, et surtout une redéfinition du paysage politique et syndicale hors des classiques clivages historiques.
Deux décennies plus tard, le syndicalisme tarde à se réformer et les différenciations politiques tiennent plus, au mieux, à l’opposition corruption / anti-corruption ou népotisme / pluralisme, qu’à la confrontation de projets politiques. Bref, la gauche kenyanne tarde à apparaître. A l’approche de la date d’ouverture du forum, la plupart des hommes politiques kenyans étaient plus soucieux du début de la campagne législative que de l’altermondialisme. Quant aux syndicats, il ont en majorité tout simplement ignoré l’événement. Ne restaient donc, parmi les forces significatives impliquées dans la préparation du forum, que de nombreuses ONG et les multiples églises du pays. Or, si certains groupes confessionnels, tels les courants issus de la théologie de la libération, font depuis le début partie du paysage altermondialiste, d’autres réseaux ou organisations, telles les Franciscains, les églises méthodistes, les réseaux luthériens africains, n’ont pas démontré de réelle proximité avec la charte du FSM. Leur statut, légitime au demeurant, "d’organisation de base" n’aurait en aucun cas dû leur permettre de prendre part au forum.
La confusion était telle qu’un groupe anti-avortement (et même anti-contraception) a pu obtenir un stand, à la grande colère des participants étrangers. L’appel final de l’assemblée des mouvements sociaux à condamné d’ailleurs cette présence. Mais, bien plus que la faible présence organisée kenyane, c’est le nombre réduit des participants kenyans qui frappait aux premiers jours du forum. Alors que traditionnellement, ce sont les locaux qui consituent le gros des participants, ils étaient ici largement minoritaires. Le prix d’entrée du forum y était pour beaucoup, mais surtout, les transports hors de prix pour atteindre le lieu du forum, ainsi que les tarifs pratiqués pour se restaurer sur place, interdisaient l’accès au FSM aux classes les plus populaires de Nairobi. Après avoir organisé un forum "parallèle" dans un parc du centre ville - forum auquel les altermondialistes occidentaux on été trop peu nombreux à participer, les mouvements de base de Nairobi ont tenté d’imposer la gratuité d’accès du forum pour les Kenyans. C’est avec l’aide des participants étrangers (en particulier de militants italiens ayant pratiqué une "réappropriation citoyenne" de 2000 cartes d’accès au Forum) que les kenyans ont pu faire sauter le verrou social des grilles d’entrée, sauvant ainsi l’âme même de l’événement. Alors - et alors seulement - le forum commença à exister au Kenya. Un forum mondial planétaire
Si la présence des kenyans a pu être problèmatique, celle des organisations africaines était indiscutable. Du Maghreb à l’Afrique du Sud, des délégations de tous les continents avaient répondu présent. Après les Africains, ce sont les Européens (et en particulier les Français) dont la présence s’est avérée conséquente. De fortes délégations sud-américaines étaient aussi venues comme à chaque forum ; les Brésiliens et les Canadiens francophones étaient présents en nombre. Les pays organisateurs des précédents forum avaient aussi envoyé de fortes délégations : Mali, Vénézuella et Inde. Des délégations Sri Lankaises, Bangladeshies et Pakistanaises complétaient la délégation du sous-continent indien. Des Sud-coréens, des Vietnamiens et des Chinois composant également la délégation asiatique. La présence, elle aussi en nombre, des mouvements civiques état-uniens est aussi à souligner (en particulier les réseaux construits après le désastre de l’ouragan Katrina et l’incapacité du gouvernement US à répondre à l’urgence sanitaire). Ajoutons des délégués du monde arabe, du Liban et de Palestine. Seuls, et comme à chaque forum, les pays d’Europe de l’est et de l’ex-URSS brillaient par leur absence.
Verbatim
De part son nombre et sa diversité, le forum couvrait l’ensemble des questions abordées par l’altermondialisme. S’il est impossible de synthétiser des centaines de réunions, on peut se risquer à pointer quelques tendances. Comme on pouvait le prévoir, des thématiques ont sinon émergé, au moins se sont imposées à tous, telles que l’annulation de la dette, le SIDA et la question du néo-colonialisme (à noter que cette question semble être bien plus portée par les pays de l’aire d’influence de la France que des aires d’influence des autres pays occidentaux). La question des droits des minorités sexuelles, si elle n’était pas nouvelle au forum, semblait être une révolution dans une société qui jusqu’à présent refusait d’imaginer que des africains puissent être homosexuels.
D’autres thématiques continuent à s’imposer de forum en forum :
- les questions agricoles (rapport nord / sud, accès à la terre, souveraineté alimentaire ...)
- l’environnement (le changement climatique, les OGM, l’eau ...)
- l’impérialisme (en particulier US) et la guerre
- les accords économiques internationaux - le féminisme (autonomisation et émancipation)
Mais pas l’autogestion ... Si les questions démocratiques ont été largement abordées, ce fut avant tout pour parler des droits élémentaires ... La question d’une démocratie renforcée ou de l’autogestion n’était abordée que par les européens et les sud-américains. Réalité africaine oblige, la répression des mouvements sociaux a été moins abordée que la question plus générale de l’accès aux droits de l’homme et la question syndicale et du droit du travail souvent réduite au problème du travail informel. La question de la critique des média, a elle aussi été ramenée à la seule question de l’existence de média alternatifs. Enfin, si les voisins somaliens, ougandais, tanzaniens ou du Zimbabwe étaient présents en masse, nous n’avons pas vu une seule réunion concernant le génocide rwandais. Tout cela fit un forum riche et, finalement, une réussite politique. Difficile de savoir ce qu’en tireront les kenyans. Reste que ce FSM aura encore renforcé la construction d’un espace mondial de contestation de l’ordre néo-libéral planétaire.
La délégation des Alternatifs au FSM de Nairobi.