Les observations du Syndicat de la Magistrature sur le projet de loi de prévention de la délinquance
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Observations
Projet de loi sur la prévention de la délinquance
Sénat
Il propose un ensemble de dispositions à la fois cohérentes dans leur approche et disparates dans leur objet, couvrant non seulement l'articulation institutionnelle des dispositifs de prévention de la délinquance (contrats locaux de sécurité, politique d'action publique des parquets), mais encore le développement d'une intervention du maire dans le champ de l'action sociale, une réforme du régime de l' hospitalisation psychiatrique sous contrainte ou une réforme de la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants. Alors que de nombreux textes votées à l'initiative de l'actuelle majorité ont déjà aggravé la pénalisation de certains comportements (loi sur la sécurité intérieure, loi sur la sécurité routière, loi sur le traitement de la récidive, loi sur la prévention et la répression des violences au sein du couple...), largement réformé la procédure pénale, y compris concernant les mineurs (lois Perben I et Perben II) et développé les dispositifs de contrôle des familles considérées comme défaillantes (loi de cohésion sociale, loi sur l'égalité des chances) ce texte est essentiellement consacré à une nouvelle aggravation de la répression pénale plutôt qu'à un développement de la prévention.
Surajoutant de nouvelles dispositions à des textes récemment votés, certaines de ses dispositions apparaissent en outre en contradiction avec certaines orientations du projet de loi sur la protection de l'enfance actuellement en discussion.
En fait aucune de ces dispositions ne répond à une nécessité. Ce texte correspond manifestement à une volonté d'affichage politique à la veille des échéances électorales. Il privilégie une approche sécuritaire stigmatisant diverses catégories de personnes en difficultés : personnes en difficulté sociale, enfants, consommateurs de stupéfiants, malades mentaux, proposant de les soumettre à une surveillance accrue, progressivement vidée de toute dimension d'aide et de soutien, c'est à dire de toute approche réellement préventive.
I-Le rôle du maire : la confusion institutionnelle (article 5 à 9 du projet de loi) :
Au delà du rôle qui lui est reconnu dans la coordination des dispositifs de prévention notamment dans le cadre des contrats locaux de sécurité, rôle affirmé par l'article 1er du projet de loi, les articles 5 et suivants du projet de loi proposent de donner au maire un rôle de coordonateur, voire d'intervention directe dans le champ de "l'action sociale et éducative".
La désignation d'un coordonnateur
Le maire pourrait ainsi désigner un coordinateur pour "assurer une meilleure efficacité de l'action sociale" lorsque "la gravité des difficultés sociales, éducatives et matérielles" d'une personne appelle l'action de plusieurs intervenants sociaux.
La rédaction retenue est en retrait au regard des propositions qui ont circulé avant le dépôt du projet de loi.
Le champ d'application est délimité de manière plus stricte, par la référence à la gravité des difficultés rencontrées. De même, le coordonnateur est désigné parmi les travailleurs sociaux qui interviennent déjà auprès de l'usager concerné et ne constitue donc pas un nouvel intervenant.
Néanmoins, actuellement l'action sociale ressort de la compétence des conseils généraux (article L121-1 du CASF) qui définissent et mettent en oeuvre la politique d'action sociale et coordonnent les actions menées sur leurs territoires. C'est à ce titre que les conseils généraux sont à la fois responsables du service départemental de l'action sociale, du service de l'aide sociale à l'enfance et de la protection maternelle et infantile. Ces services sont d'ailleurs organisés sur une base territoriale commune de nature à permettre la coordination de leurs interventions.
Ainsi, le service social polyvalent des conseils généraux a déjà une vocation naturelle à orienter les usagers vers les divers partenaires compétents pour répondre à leur besoins, et à appréhender les situations de manière globale pour aider les personnes en difficulté "à retrouver ou à développer leur autonomie de vie" (article L 123-2 CASF).
Rien ne permet de prendre pour acquises les allégations de l'exposé des motifs selon lesquelles, il existerait de réels obstacles institutionnels à la coordination des interventions. Si des obstacles juridiques pouvaient subsister en matière de partage d'information, les dispositions du projet de loi sur la protection de l'enfance sont de nature à les lever définitivement et à valider les pratiques actuelles de "secret partagé".
En fait, cette intervention du maire répond manifestement à la volonté de lui permettre, en application de l'alinéa 4 du nouvel article L. 121-62 du CASF, d'accéder à des informations aujourd'hui confidentielles. Il s'agit de lui permettre de mettre en oeuvre les prérogatives qui pourraient lui être attribuées dans le cadre du conseil des droits et devoir des familles, ainsi que dans le cadre de la procédure de rappel à l'ordre prévue par l'article L. 2212-2 -1 nouveau du code général des collectivités territoriales (article 8 du projet).
La même logique justifie la transmission des avertissements adressés par l'inspection académique aux familles en cas d'absentéisme scolaire.
L'intervention du maire et la désignation systématique par ses soins d'un coordonnateur est en fait inutile et dangereuse. Elle constituera une source de confusion institutionnelle et de difficultés dans le fonctionnement des réseaux de décision et d'information. Le bloc de compétence reconnu au département en matière d'action sociale se trouvera fragilisé.
Dans sa rédaction initiale, la loi égalité des chances confiait au maire le soin le proposer aux familles la souscription d'un contrat de responsabilité parentale. Finalement, sans doute en considération de ses compétences naturelles, ce rôle a été confié au président du conseil général. Il serait incohérent de revenir sur cette orientation, surtout alors même que le projet de loi sur la protection de l'enfance actuellement en discussion renforce encore le champ d'intervention du conseil général en matière d'actions préventives concernant l'enfance.
Le conseil des droits et devoirs des familles
Il apparaît encore particulièrement inopportun de confier au maire des pouvoirs d'intervention éducative dans la vie des familles dans le cadre d'un conseil des droits et devoirs des familles (article 6 du projet de loi). Ce dispositif, orienté vers le traitement des situations révélatrices de risques de danger ou de carences éducatives concernant les enfants, ressort là encore de la compétence actuelle du service de l'aide sociale à l'enfance du conseil général en matière de protection de l'enfance (a L 221-1 CASF). Il y a là encore un brouillage des rôles vis à vis des usagers. Le risque existe aussi que ces derniers puissent se trouver confrontés à des injonctions contradictoires.
Les familles seront en effet confrontées à une multitude d'interlocuteurs abordant les mêmes problèmes et susceptibles de proposer des solutions identiques ou contradictoires. Tel est particulièrement le cas en ce qui concerne le défaut d'assiduité scolaire qui peut faire l'objet d'un réponse propre à l'éducation nationale, voire justifier un signalement à l'aide sociale à l'enfance ou directement à l'autorité judiciaire de la part du service social de l'éducation nationale, tout en étant traité dans le cadre d'un contrat de responsabilité parentale par le président du conseil général ou dans le cadre du conseil des droits et devoirs des familles par le maire. La nécessité de lutter contre la déscolarisation constitue d'ailleurs une très mauvaise justification des dispositifs envisagés. Il n'est pas possible de laisser croire que l'absentéisme scolaire ou la déscolarisation des enfants d'âge scolaire ne serait actuellement pas pris en compte par les services chargés de la protection de l'enfance. D'après le rapport 2005 de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) les problèmes d'éducation, caractérisés notamment par des difficultés scolaire aiguës figurent parmi les principales sources de risques (plus de 40 % des cas) chez les enfants dont la situation a été signalée à l'aide sociale à l'enfance ou à la justice. L'approche qui justifie le projet de loi, qui fait reposer la responsabilité de l'absentéisme sur les parents, apparaît outrageusement simplificatrice.
La confusion institutionnelle se retrouve en ce qui concerne l'aide à la gestion ou le contrôle de gestion des prestations familiales. Cette question pourra de la même manière être abordée par de multiples intervenants : président du conseil général dans le cadre du contrat de responsabilité parentale, ou par la mise en place d'une mesure d'accompagnement en économie sociale et familiale telle que prévue dans le projet loi sur la protection de l'enfance, maire dans le cadre du conseil des droits et devoirs des familles, autorité judiciaire saisie en vue d'une mesure de tutelles... Cette question est une nouvelle fois abordée sous l'angle de la sanction. Comme dans le cadre du contrat de responsabilité parentale la privation des prestations familiales est envisagée comme instrument de contrainte à l'encontre de familles considérées comme défaillantes. Au contraire de la mesure de tutelles aux prestations familiales qui permet, sous le contrôle d'un juge, la mise en place d'une gestion de substitution assurant une utilisation des prestations conforme à leur destination, ces dispositifs aboutissent à priver la famille de ressources indispensables à l'éducation des enfants. L'intérêt supérieur de ceux-ci est ainsi perdu de vue. Il convient par conséquent à la fois de s'opposer à ces nouvelles dispositions et d'abandonner le principe du contrat de responsabilité parentale institué par la loi égalité des chances.
Le souci de conserver à la mesure de tutelles aux prestations familiales ses objectifs propres justifie aussi l'opposition aux dispositions de l'article 7 du projet de loi qui permettent la désignation du coordonateur comme tuteur aux prestations sociales.
Loin de prendre en compte la complexité des situations des familles en difficulté, ces dispositions participent d'une vision simpliste et alimente un discours qui, sous couvert de responsabilisation, aboutit en fait à une disqualification des parents dans leur fonction parentale.
Le rappel à l'ordre par le maire
Le risque de confusion institutionnelle est encore accru par le cumul des pouvoirs qui pourraient être confiés aux maires : rappel à l'ordre prévu par l'article L212-2-1 nouveau du Code général des collectivités territoriales, pouvoirs et informations en matière d'hospitalisation psychiatrique.
Après avoir donné le pouvoir au maire de s'immiscer dans le traitement de certaines infractions pénales (article 44-1 du code de procédure pénale créé par l'article 50 de la loi égalité des chances), il est proposé de lui reconnaître un pouvoir de rappel à l'ordre verbal "lorsque des faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité, ou à la salubrité publique". Dans une rédaction antérieure le texte prévoyait de permettre ce rappel à l'ordre "lorsque des faits portent atteinte aux règles régissant la vie sociale". L'actuelle rédaction tente de mieux définir le champ de cette mesure en faisant expressément référence aux pouvoirs de police du maire. La nature des faits concernés reste cependant indéfinie. L'exposé des motifs est à cet égard parfaitement silencieux. Il vise d'ailleurs uniquement les faits qui seraient commis par les mineurs. Il apparaît ainsi qu'il s'agit de créer une nouvelle forme de réponse aux "incivilités" qui viendrait encore se surajouter à des réponses déjà multipliées ces dernières années, non seulement par le vote des dispositions de la loi égalité des chances, mais surtout par le développement des mesures alternatives aux poursuites mises en oeuvre par les parquets : mesures de réparation pénale et rappels à la loi. Le caractère flou du champ d'application de cette mesure exposera les usagers à des réponses multiples et parfois incohérentes, la mise en oeuvre d'un rappel à l'ordre municipal n'excluant pas une réponse judiciaire. Cette mesure participe d'une confusion des rôles entre autorité municipale et autorité judiciaire. L'extension des dispositions de la loi égalité des chances permettant au maire de proposer au procureur de la République une transaction, pour certaines infractions constatées par les policiers municipaux, aux communes employant des gardes champêtres (article 46) participe de la même logique
Ces dispositions tendent ainsi à confier au maire des prérogatives qui empiètent largement sur les missions actuelles d'autres institutions, sans qu'aucun gain réel puisse être attendu de cette intervention. L'intervention de chaque institution risque d'y perdre en cohérence et en lisibilité pour les usagers, c'est à dire en efficacité. Enfin, la mise en place de ces dispositifs dans des communes de taille modeste (la constitution du conseil des droit et devoirs des familles serait obligatoire dans les communes de 10.000 habitants) exposerait les usagers à des risques d'atteinte à la vie privée. De leur côté les maires de petites communes vont se trouver investis de lourdes responsabilités nouvelles, dont ils ne sont pas majoritairement demandeurs, et qu'ils auront sans doute du mal à assumer.
II-L'hospitalisation psychiatrique : la prééminence des préoccupations d'ordre public (articles 18 à 24 du projet de loi) :
Les dispositions relatives à la réforme du régime des hospitalisations sous contrainte, loin de répondre au souci de meilleure prise en charge des malades et de "protection des plus vulnérables" hypocritement affiché par l'exposé des motifs, sont au contraire animées par un souci renouvelé de faire prévaloir des préoccupations d'ordre public. Elles constituent de ce point de vue une régression par rapport à une évolution marquée par la volonté de limiter au maximum le recours à l' hospitalisation sous contrainte et d'assurer une protection plus efficiente des libertés individuelles, préoccupations qui animaient la réforme de 1990.
Il est ainsi proposé de faire du maire le responsable en première intention de toutes les hospitalisations d'office, et non plus seulement en cas de danger imminent comme c'est actuellement le cas (articles 21 et 22 modifiant les articles L. 3213-1 et 2 du code de la santé publique). Le représentant de l'Etat n'interviendrait qu'a posteriori pour confirmer la décision initiale, le délai de cette confirmation étant par ailleurs porté de 48 à 72h. Confiée au maire, la décision initiale d'hospitalisation risque d'être beaucoup plus influencée qu'actuellement par les préoccupations de tranquillité du voisinage. La possibilité ouverte de prononcer un arrêté d'hospitalisation sur simple "avis médical", répond à la même logique, de même que la possibilité de "retenir" la personne concernée dans une structure médicale prévue à l'alinéa 2 du nouvel article L 3213-1 CSP. Il convient au minimum de supprimer la possibilité d'internement sur simple avis médical. L'organisation du service public doit permettre l'examen des patients et la délivrance d'un certificat médical circonstancié en temps utile.
Dans le même état d'esprit, l'article 20 de la loi organise une séparation étanche des régimes d'hospitalisation à la demande d'un tiers et d'hospitalisation d'office. Ainsi, les personnes causant par les manifestations de leurs troubles mentaux un trouble grave à l'ordre public ou compromettant la sûreté des personnes ne pourraient plus être hospitalisées sous contrainte à la demande de leur proches, mais uniquement sur décision administrative. Cette mesure participe de la logique de stigmatisation de la maladie mentale qui anime ce texte et du discours de défiance envers les professionnels de santé. Elle s'articule avec la création d'un fichier national des personnes hospitalisées d'office, ainsi qu'avec la possibilité réaffirmée par l'article 23 de la loi de permettre à l'administration de s'opposer à l'avis des soignants en recourant à l'expertise, ou par l'article 24 qui transfère à l'administration le pouvoir de mainlevée des hospitalisation sous contrainte des personnes déclarées pénalement irresponsables.
Le rapprochement de la décision initiale des préoccupations d'ordre public que traduit la responsabilité confiée au maire, doit être contrebalancée par un raccourcissement du délai de réexamen par le représentant de l'Etat. Actuellement de 48h, il pourrait être réduit à 24 h, au lieu d'être porté à 72.
La création d'un fichier national recensant les personnes hospitalisées d'office constitue une des manifestations les plus emblématiques de cette approche sécuritaire de la maladie mentale. L'exposé des motifs justifie cette création par la nécessité pour les autorités de disposer d'informations nécessaires à la prise de décision d'hospitalisation d'office. Cependant, cette décision ne peut en l'état des textes, même modifiés être justifiée par la prise en compte de précédents résultant d'une sorte de nouveau casier judiciaire psychiatrique, mais de la constatation de troubles à un moment donné et des atteintes portées à l'ordre public ou à la sûreté des personnes. Cette justification est donc sans fondement. La création de e fichier correspond en fait à la volonté de désigner les malades ayant fait l'objet d'une hospitalisation d'office comme suspects a priori. C'est ce qui explique que l'accès des autorités judiciaires et policières soit d'emblée prévu.
Or, au delà de faits divers emblématiques, rien ne permet actuellement de considérer que les personnes faisant l'objet d'hospitalisation d'office présentent des traits de dangerosité plus accusés que le reste de la population. Dans ces conditions rien ne justifie de désigner ces personnes comme suspects privilégiés et de créer un nouveau fichier informatique à cette fin.
III-Le traitement de la délinquance des mineurs :
L'augmentation de la délinquance des mineurs, une délinquance qui serait le fait de mineurs de plus en plus jeunes, une délinquance de plus en plus violente et une impunité entretenue par la loi justifierait la réforme.
Ces constats doivent cependant être relativisés. Sur une période de 10 ans (1994 à 2004, dernière statistique disponible), la part des mineurs dans les personnes mises en cause dans la délinquance constatée par les services de police et de gendarmerie est passée de 14 à 18 %. Le nombre des procédures traitées par les parquets mettant en cause des mineurs représente en 2005 143.000 procédures, nombre qui doit être rapporté aux 1.400.000 affaires susceptibles de faire l'objet de poursuites de la part des parquets à la même période. Rien ne vient par ailleurs réellement accréditer l'idée d'un accroissement notable de la violence des mineurs. Les atteintes aux biens restent en effet prépondérantes parmi les infractions dans lesquelles ils sont impliqués.
Au contraire, le taux de réponse pénale aux affaires impliquant des mineurs est passé de 77,7 % en 2000 (première année de publication de ce chiffre) à 85 % en 2005, alors qu'il se situe pour les majeurs à 77 % à la même date. Cette augmentation de la réponse pénale face aux faits constatés impliquant des mineurs s'est essentiellement traduite par l'explosion des alternatives aux poursuites (médation-réparation, rappel à la loi). Inexistantes en 1994, ces mesures dépassent en 2005 le nombre de 63.000. Sur la même période le nombre des décisions de poursuites par les parquets a lui aussi augmenté, passant de 45.000 à 58.000 (sources annuaire statistique de la justice et infostat justice mars 2006).
La diminution du seuil de tolérance des institutions constitue ainsi en réalité le fait le plus notable concernant l'évolution du traitement de la délinquance des mineurs.
L'ordonnance du 2 février 1945 a été réformée une vingtaine de fois dont 3 au cours de la présente législature. Si la primauté de l'approche éducative reste affirmée, la palette des réponses en terme de mesures et de procédures est largement diversifiée. Les réformes successives tendent à accroître la maîtrise du parquet sur le déroulement de la procédure (par exemple par le développement de la convocation par OPJ pour mise en examen ou jugement), à développer des réponses rapides (pratique du déferrement permettant la mise en examen au sortir de la garde à vue et le prononcé de mesures provisoires pouvant aller jusqu'au contrôle judiciaire et à la détention provisoire, création par la loi Perben I de la procédure de jugement à délai rapproché et de la faculté ouverte au parquet d'imposer au juge des enfants de faire comparaître le mineur dans un délai d'un mois à 3 mois (article 8-2 de l'ordonnance) etc...). La loi Perben I a aussi créé de nouvelles mesures, dites "sanctions éducatives" pouvant être prononcées à partir de l'âge de 10 ans. Elle a en outre élargi le domaine de la contrainte en créant les centres éducatifs fermés et en élargissant les possibilités de placement sous contrôle judiciaire et de détention provisoire concernant les mineurs de 13 à 16 ans.
Enfin, il n'est pas inutile de rappeler qu'il n'existe aucune impunité pénale systématique en dessous de l'âge de 13 ans. Tout mineur doué de discernement peut être déclaré coupable d'infraction pénale. Les mineurs de moins de 13 ans peuvent être l'objet d'une mesure éducative prononcée en chambre du conseil par le juge des enfants. Les enfants de 10 à 13 ans peuvent en outre se voir infliger une sanction éducative prévue à l'article 15-1 de l'ordonnance du 2 février 1945. Enfin, l'atténuation de peine liée à la minorité n'est pas absolue. La cour d'assises ou le tribunal pour enfants peuvent l'écarter pour les mineurs de plus de seize ans lorsque la gravité des faits ou la personnalité des mineurs le justifient (article 20-2 de l'ordonnance).
Nombre des mesures adoptées depuis 2002 n'ont pas fait la preuve de leur utilité pratique et n'ont été que très peu utilisées. C'est particulièrement le cas de la procédure de jugement à délai rapproché. Il en est de même des sanctions éducatives (1 sanction concernant des moins de 13 ans en 2005 et 5 en 2006 d'après les chiffres de prise en charge de la PJJ). Pourtant, le projet de loi poursuit dans la voie d'une approche essentiellement répressive plus qu'éducative, privilégiant une réponse aux actes sur une prise en charge éducative dans la durée. La dimension propre à la délinquance des mineurs est progressivement mise en cause.
Ainsi, l'application des dispositions de l'article 399 du code de procédure pénale à l'audiencement du tribunal pour enfants va encore accentuer la pression des parquets sur le fonctionnement des tribunaux pour enfants. Les préoccupations d'ordre public risquent ainsi de prendre un peu plus de le pas sur les considérations éducatives et l'équilibre entre les fonctions civiles et pénales de la juridiction des mineurs risque d'être rompu.
L'article 35 de la loi prévoit d'étendre aux mineurs la mesure de composition pénale. Aucune garantie n'est prévue pour assurer dans ce cadre la prise en compte de l'état de minorité du mis en cause, sauf en ce qui concerne la nécessité de l'accord des représentants légaux. Il n'est notamment pas prévu l'intervention obligatoire et préalable d'une enquête sur la personnalité du mineur, ne serait-ce que sous la forme d'une procédure de renseignement socio-judicaire confiée à la PJJ. Le juge des enfants dont le rôle consiste à accompagner judiciairement l'évolution d'un mineur, avec le concours des services éducatifs qu'il désigne, se trouve cantonné à un rôle d'homologation.
De même, il est proposé de modifier la procédure de jugement à délai rapproché, d'une part pour en étendre le champ d'application par l'abaissement des seuils de peine encourue permettant de la mettre en oeuvre (de 5 ans à 3 ans dans le cas normal, et de 3 ans à un an en cas de flagrance), d'autre part en permettant au mineur de renoncer au délai de comparution minimal de 10 jours, autorisant ainsi sa comparution immédiate devant le tribunal pour enfants. Il est donc proposé l'instauration d'une quasi comparution immédiate des mineurs. A titre de comparaison il n'est pas inutile de rappeler que la comparution immédiate peut être utilisée pour les majeurs lorsque la peine encourue est d'au moins 2 ans et en cas de flagrance lorsqu'elle est d'au moins 6 mois. Enfin cette érosion de l'approche personnalisée de la situation des mineurs est complétée par le rallongement de 12 mois à 18 mois maximum de l'ancienneté des renseignements de personnalités dont doit disposer préalablement la juridiction pour utiliser valablement cette procédure. Alors même que la procédure de comparution immédiate applicable aux majeurs fait l'objet de vives critiques à raison des atteintes qu'elle porte aux droits de la défense, il est particulièrement inopportun d'étendre le même type de procédure aux mineurs. Le texte prévoit que le mineur puisse consentir, en présence de son avocat, à une telle procédure, sans que l'accord de ses représentants légaux soit requis. Une telle mise à l'écart des parents pour un acte aussi important exprime en creux la philosophie principale de cette disposition : la recherche d'une répression accrue.
L'article 37 3° du projet de loi étend une nouvelle fois les possibilités de contrôle judiciaire et, corrélativement, de détention provisoire, concernant les mineurs de moins de 16 ans en rendant cette mesure possible en matière délictuelle lorsque la peine encourue atteint 7 ans, même lorsque le mis en examen n'a pas fait l'objet de mesures éducatives antérieures. Cette mesure constitue une rupture manifeste avec l'esprit de l'ordonnance de 1945.
L'effacement de la spécificité du traitement de la délinquance des mineurs se retrouve aussi au niveau de certaines nouvelles règles de fond qui sont proposées au terme de ce projet de loi : limitation des possibilités de prononcer des admonestations ou des remises à parents, création d'une nouvelle sanction éducative sous forme de placement d'une durée d'un mois.
La limitation des possibilités de prononcer plusieurs admonestations ou remises à parents à l'encontre du même mineur en raison de la commission dans la même année de plusieurs infractions assimilées au regard de la récidive (article 36 3°) est particulièrement inopportune. 6
Cette règle empêchera le juge des enfants de tirer les conséquences de situations qui, s'agissant de mineurs peuvent évoluer positivement rapidement, y compris entre la date des faits et le jugement. L'adaptation de la réponse judiciaire à la gravité objective des faits s'en trouvera entravée. On peut même craindre le prononcé de mesures éducatives disproportionnées ou inutiles (notamment de liberté surveillée) qui viendront surcharger les services éducatifs qui le parviennent déjà pas à prendre en charge les mesures qui leur sont confiées en temps utile.
La mise en oeuvre de la sanction éducative de placement d'une durée d'un mois va imposer la création nouveaux établissements répondant à l'objectif fixé et à ce délai de prise en charge. Ce sont ainsi une nouvelle fois des moyens qui seront distraits au détriment des établissements éducatifs classiques qui en manquent cruellement. Cette mesure apparaît en outre par sa durée et le contenu qui lui est fixé, dépourvue de toute réelle portée éducative. Une mesure d'activité de jour est créée, applicable dès 13 ans, qui peut faire craindre une nouvelle remise en cause de l'interdiction de faire travailler les enfants de moins de 16 ans (après l'adoption du pré-apprentissage à 14 ans).
Enfin, la création d'une mesure "d'avertissement solennel" (article 39), pouvant être prononcée à la fois comme sanction éducative (a 15-1 de l'ordonnance de 1945) et comme mesure éducative par le tribunal pour enfants (article 16 de l'ordonnance) confine au ridicule. Il sera en effet illusoire de distinguer cette mesure de l'actuelle admonestation qui peut être prononcée par le juge des enfants en chambre du conseil (article 8 de l'ordonnance). La possibilité de sanctionner le non respect éventuel de cet avertissement prononcé en tant que sanction éducative par un placement en application de l'article 15-1 dernier alinéa ne justifie pas la création de cette nouvelle mesure. En effet, le non respect d'une mesure d'avertissement résultera le plus souvent de la commission d'une nouvelle infraction qui ouvre toute possibilité de prononcer une mesure de placement à titre préjudiciel (article 10 de l'ordonnance). Ces dispositions apparaissent donc confuses et inutiles.
Au total, cette quatrième réforme du droit pénal des mineurs depuis 2002 aggraverait considérablement la logique à l'oeuvre depuis quelques années, en marginalisant l'action éducative, privée du temps et des moyens nécessaires, au profit d'une répression accrue, toujours plus rapide, en bridant la marge d'appréciation du juge. Le droit des mineurs se rapprocherait encore davantage de celui des majeurs, dans ses aspects les plus insatisfaisants. Ces orientations simplistes et démagogiques sont aussi inefficaces. Elles doivent être combattues.
IV-Le traitement pénal judiciaire des conduites addictives (articles 27 à 34) :
Par circulaire du 8 avril 2005 le ministre de la justice a défini la politique d'action publique en matière de lutte contre la toxicomanie et les dépendances. Au delà de l'affirmation selon laquelle une approche sanitaire doit être privilégiée, l'approche pénale des problèmes d'addiction, y compris en cas de simple usage et même pour les substances les moins nocives (cannabis), l'approche pénale est fortement réaffirmée. Le classement sans suite sans rappel à la loi doit ainsi être évité à tout prix, et, si les poursuites devant le tribunal correctionnel doivent être évitées, le recours à la composition pénale est encouragée. L'intervention judiciaire est ainsi conçue comme une voie de traitement normal de ce problème de santé publique et une voie d'accès vers les soins.
Les dispositions de l'actuel projet de loi sont inspirées par la même logique. Pourtant, l'utilisation de la voie pénale comme modalité de traitement d'un problème de santé publique, si grave soit-il, apparaît éminemment contestable. Elle ne peut qu'entretenir la confusion sur les véritables enjeux de santé publique.
En outre, le projet de loi comporte une aggravation de la répression pénale. L'ouverture de la possibilité de recourir à la procédure d'ordonnance pénale en matière d'usage de stupéfiants illustre particulièrement cette approche. Il en est de même de l'aggravation des peines encourues par certains usagers : agents de l'autorité publique, préposés des entreprises de transports. Il apparaît particulièrement excessif de porter à 3 ans d'emprisonnement la peine encourue dans ces cas, alors qu'au surplus les agents concernés sont exposés à des sanctions disciplinaires lourdes (licenciement, révocation ...).
Il en est évidemment de même de l'aggravation de la peine encourue pour des faits de provocation à l'usage dirigés vers des mineurs ou à l'entrée ou à la sortie d'établissements scolaires. (passage de 5 à 10 ans d'em prison nement, soit le maximum des peines délictuelles ... ).
Enfin, les dispositions prévues au 3° de l'article 28, autorisant des épreuves de dépistage au sein des entreprises de transport apparaissent elles aussi particulièrement critiquables. Les garanties prévues risquent de se révéler purement formelles. La pratique des parquets en matière de réquisitions de contrôles d'identité (article 78-2-1 du CPP) démontre que les procureurs de la République répondent la plupart du temps positivement aux demandes formulées par les policiers. D'autre part le caractère très flou du critère autorisant les épreuves de dépistage autorisera de fait la pratique de contrôles généralisés au sein des entreprises, en dehors mêmes de l'exercice effectif des activités profession nelles concernées. Les contrôles pourront en effet être mis en oeuvre dans les annexes et dépendances, ce qui inclut par exemple les vestiaires et espaces de repos.
IV-Les dispositions pénales et de procédure pénale diverses: La mesure de sanction-réparation (article 43 )
Il est proposé d'étendre aux majeurs la mesure de réparation applicable aux mineurs.
Il est cependant regrettable que cette mesure ne constitue pas une véritable alternative à l'emprisonnement. Contrairement à la règle applicable au travail d'intérêt général, le nouvel article 131-8-1 du code pénal réserve en effet la possibilité de cumuler cette mesure avec une peine d'emprisonnement. Or rien ne justifie de ne pas aligner le régime de ces deux mesures sur ce point, dans le souci de développer les alternatives à l'emprisonnement et plus précisément aux courtes peines.
De même, il est prévu que l'exécution de cette mesure, prononcée par la juridiction de jugement, soit mise à exécution et contrôlée par le parquet. Or, rien ne justifie de distinguer l'application de cette mesure des autres mesures restrictives de liberté. Il convient par conséquent que le juge de l'application des peines soit compétent pour la mise en oeuvre de la sanction-réparation.
Répression des violences au sein du couple (articles 15 et 16):
Alors que la loi relative à la prévention et à la répression des violences au sein du couple vient d'être votée, il est à nouveau proposé d'aggraver cette répression.
Le champ d'application du suivi socio-judiciaire serait étendu. Or, cette mesure présente un caractère exceptionnel en ce qu'elle emporte la possibilité d'une levée du secret médical lorsqu'est imposée une injonction de soins. Il n'apparaît donc pas justifié d'étendre son champ d'application au delà de la problématique particulière des infractions sexuelles pour lesquelles elle était initialement prévue. Cette extension paraît en outre inopportune au regard des difficultés rencontrées pour recruter des médecins acceptant de remplir la fonction de médecin coordonnateur. Les mesures de mise à l'épreuve ou de libération conditionnelle offrent un cadre suffisant à la fois du point de vue de la protection de la victime et d'un accompagnement socioéducatif des condamnés.
L'article 16 du projet loi propose en outre de permettre au médecin traitant constatant des violences au sein d'un couple de signaler les faits aux autorités de poursuite, sans l'accord du patient victime. Le statut de la victime est alors de fait aligné sur le statut de la victime mineure. Cette assimilation est en soi discutable. Elle risque de conduire à une intervention policière et judiciaire brutale dans des situations souvent complexes et qui nécessitent une certaine adhésion de la victime. On ne doit d'ailleurs pas exclure que le développement d'une telle pratique éloigne dans certains cas les victimes d'un contact avec un médecin afin d'éviter un signalement. A cette disposition qui s'inspire là encore d'une approche simpliste doit être préféré le développement de dispositifs d'accueil et d'accompagnement qui permettent aux victimes d'être entendues et aidées dans une démarche autonome de dépôt de plainte ou de dénonciation des faits.
Surveillance des délinquants sexuels :
Alors que depuis 1998 un ensemble de règles dérogatoires au droit commun propre à la délinquance sexuelle s'est développé, et, alors que la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive a encore accentué cette tendance, de nouvelles dispositions sont envisagées à ce sujet. Le condamné inscrit au FIJAIS pourrait se voir imposer de se présenter tous les mois aux services de police. Cette disposition serait obligatoire pour les récidivistes.
Cette mesure participe d'une surenchère concernant le traitement de ce type de délinquance. L'inscription au FIJAIS constitue déjà une mesure particulièrement stigmatisante par sa durée et les mesures qui lui sont accessoires (obligation de notification de changement d'adresse et de pointage). Il n'apparaît pas justifié d'en aggraver encore le régime, au risque d'handicaper encore davantage les condamnés dans leurs perspectives de réinsertion. Les dispositifs de surveillance et d'accompagnement éducatif (sursis avec mise à l'épreuve, libération conditionnelle, suivi sociojudiciaire ... ) et les obligations dont ils sont assortis offrent déjà une large palette de mesures pour prendre en charge ces délinquants.
Réhabilitation de plein droit :
Le rallongement des délais de réhabilitation de plein droit en cas de récidive et la remise en cause de l'effacement du bulletin numéro 1 du casier judiciaire participe de la même surenchère répressive.
Conclusions :
La présentation de ce projet de loi participe d'une logique de surenchère sécuritaire, sans rapport avec une amélioration de la politique de prévention de la délinquance.
Comme l'on récemment rappelé conjointement plus d'une vingtaine d'organisations (CGT, FSU, Solidaires, Ligue des Droits de l'Homme, SUD Santé-Sociaux, SUD C-T, SNPES-PJJ, SNEPAP, SNUASFP, SNU-Clias, SNES, SNUIPP, Syndicat National des Médecins de PMI, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France, Union Syndicale de la Psychiatrie, Syndicat National des Psychologues, CNT, A.C.!, Collectif des Etudiants en Travail Social, Collectif pour les Droits des Citoyens Face à l'Informatisation de l'Action Sociale, Collectif "Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans", Syndicat de la médecine générale, Association nationale des Assistants Sociaux, Coordination Permanente des Organisations, France-CESF, Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille, Interco-CFDT, FCPE), une politique de prévention de la délinquance ne saurait s'inspirer d'un mélange des genres entre relation d’aide, soutien éducatif, actions de prévention ou de soins d’une part et prévention de la délinquance d’autre part.
Il apparaît en revanche indispensable de valoriser réellement dans les pratiques des différents services et professions les approches partenariales et le travail en réseau, dans le respect du secret professionnel et des droits des familles. Or ces pratiques ne reposent actuellement bien souvent que sur la bonne volonté de quelques individualités. Leur développement suppose donc la prise en compte dans l'organisation du travail des temps de concertation, de favoriser la mise en œuvre de formations communes, et la prise en compte du travail partenarial dans l'évaluation des services et des agents.
Il est encore évidemment indispensable de doter les services, médecine scolaire, PMI, psychiatrie et pédopsychiatrie, PJJ, services sociaux, tribunaux pour enfants, de moyens à la hauteur de leurs missions, ce qui, de notoriété publique, n'est pas le cas.
Ce projet de loi justifie une opposition pure et simple.