Lors de la réforme Fillon de 2003, on avait amené l'opinion à se focaliser sur un unique paramètre censé tout régler : la " durée de cotisation ". Il fallait, souvenez-vous, que les fonctionnaires et assimilés cotisent désormais aussi longtemps que les salariés du privé, et ainsi l'égalité serait enfin réalisée entre eux.
On opposait de la sorte artificiellement un régime des fonctionnaires présenté comme unique - le même pour tous -, à un régime du privé, présenté lui aussi comme unique. Cela avait l'avantage de passer outre les inégalités les plus choquantes, celles qui prévalent entre les différents régimes du privé, aussi bien qu'entre les régimes publics.
Le contraste est ainsi particulièrement éclatant entre les régimes spéciaux qui cumulent tous les privilèges et le régime ordinaire du fonctionnaire ne comportant aucun avantage retraite particulier (par exemple, celui des enseignants).
Et voilà que, cette fois-ci, nous disent les experts du gouvernement (dont aucun n'est actuaire - spécialiste des retraites - ), le financement de l'augmentation de l'espérance de vie va se résoudre par magie grâce au même paramètre, un paramètre décidément réponse-à-tout : la durée de cotisation !
Gare aux fausses évidences. Nos experts gouvernementaux ne savent pas que la durée de cotisation est un paramètre qui joue un rôle exactement opposé dans l'équilibre des régimes, selon qu'ils sont privés ou publics.
A quoi sert en effet l'allongement de la durée de cotisation ? Il sert uniquement à augmenter la population des cotisants. S'il ne remplit pas ce rôle, il ne sert à rien. Dans un régime par répartition, on peut concevoir en première analyse l'effet bénéfique d'un tel allongement : plus de cotisants font plus d'argent pour les retraites. Mais ce à quoi les experts n'ont pas prêté attention, c'est que c'est le contraire qui est vrai dans le public.
C'est évidemment quand il y a moins d'actifs dans le secteur public, donc moins de dépense salariale, qu'il y a plus d'argent pour les retraites publiques. C'est en effet à partir d'une même masse, le budget de l'Etat, que sont financés et les salaires et les pensions.
L'augmentation de la durée de cotisation, qui n'est utile que si elle permet d'accroître le nombre d'actifs du régime, est donc néfaste pour le public où ce qui compte, du point de vue du financement des retraites, c'est d'alléger les effectifs. Réduire les effectifs, c'est, répétons-le, dégager de l'argent pour les retraites. Autrement dit, il ne faut pas, dans le public, allonger la durée de cotisation, mais au contraire la diminuer.
C'est la raison pour laquelle la politique du ministre du budget, Eric Woerth, consistant à ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, a des effets exactement annulés par la politique de M. Hortefeux consistant à augmenter leur durée de cotisation : au total, on peut constater que le nombre de fonctionnaires n'a aucunement diminué (qui le sait ?) et que, parallèlement, la charge des pensions explose dangereusement. Dans mon livre La Grande Duperie, la vérité sur vos retraites (Plon, 2003), je l'annonçais dans un chapitre intitulé : " Comment ruiner l'Etat : augmenter la durée de cotisation ".
Le gouvernement n'est de toute façon pas à une contradiction près en matière d'allongement de la durée d'activité. Il a fait adopter par l'Assemblée nationale, le 7 juillet, une loi sur la mobilité des fonctionnaires dont une des dispositions, passée inaperçue, consiste à encourager les agents publics à partir à la retraite cinq ans sinon plus avant l'âge normal.
L'Etat est même prêt à leur payer un pécule pouvant aller jusqu'à deux années de traitement brut pour qu'ils cessent sur-le-champ de travailler, autrement dit de " cotiser ". Sans doute s'est-il rendu compte que prolonger toujours plus l'activité de fonctionnaires arrivés au faîte de leurs rémunérations et frais annexes était ruineux ; puisque de toute façon il doit payer un agent public jusqu'à sa mort, autant lui servir à la place une retraite modérée.
Pourquoi tant de contradictions dans la politique gouvernementale ? C'est qu'il faut faire vivre à toute force le mythe de la répartition dans le secteur public. Le discours sur la répartition sert entre autres à justifier que les régimes spéciaux continuent de ponctionner les autres régimes.
Le discours officiel est un non-sens économique et une duperie : parce que nous avons réduit les effectifs dans les services publics, prétend-il, nous n'arrivons plus à payer les pensions ; du coup, les régimes qui ont un meilleur rapport démographique ont un devoir de solidarité envers les régimes spéciaux : il faut qu'ils les subventionnent.
Alors que c'est le contraire qui est vrai : parce que les effectifs ont été réduits dans les régimes spéciaux, il y a plus d'argent pour les pensions. Tout simplement parce que ces régimes spéciaux n'obéissent pas au schéma de la répartition : salaires et pensions y sont financés à partir de la même masse, celle des recettes annuelles, et c'est une excellente chose que la masse salariale se réduise avec la diminution des effectifs : cela fait plus d'argent pour payer les pensions.
Quel peut bien être d'ailleurs le sens du paramètre " durée de cotisation " dans la fonction publique et le secteur public non concurrentiel, où les cotisations sont fictives ? Sait-on à ce propos que l'Etat inscrit des cotisations " employeur " factices sur les bulletins de paie des fonctionnaires et assimilés ? Car que signifie un Etat qui se paie à lui-même des cotisations ! Cela revient à dire qu'il ne paie rien. Chacun peut en faire l'expérience, en se versant à soi-même tous les matins une somme qui lui plaira, même s'il n'a pas l'argent : après l'opération, il n'est ni plus ni moins riche.
C'est exactement ce que fait l'Etat, en décidant par exemple que le 1er janvier, le taux qu'il inscrirait désormais sur les bulletins de paie serait 60,44 % - quatre fois plus que dans le privé (15,9 %) - contre 55,71 % la veille. Admirez la précision, alors que les finances de l'Etat ne sont aucunement affectées par le taux choisi, car en réalité, absolument aucune cotisation n'est versée à quiconque. Cela fait joli, de grosses cotisations surtout très précises sur les bulletins de paie, mais il n'est qu'une vérité : ce ne sont pas ces écritures qui financent les retraites, ce sont les impôts.
Notons que, dans la mesure où les notions de cotisation salarié et de cotisation employeur sont de même essence (il s'agit en réalité d'une seule cotisation qui est conventionnellement découpée en deux avec ajustement par le salaire brut), il en va des " cotisations " des fonctionnaires comme des " cotisations " de l'Etat : ce ne sont que de l'encre " pour faire joli " sur des bulletins de salaire, pour imiter la répartition, mais sans aucune contrepartie concrète, ni économique ni financière. Aucun fonctionnaire n'a en réalité jamais payé ces cotisations.
Allez après ça comparer les taux de cotisation entre les régimes, comme le font doctement certains experts !
Dans le privé non plus, ça n'est pas travailler plus longtemps qu'il faut forcément, mais simplement travailler plus. Pourquoi laisser croire, alors qu'il n'y a pas d'activité avant l'âge de 25 ans et après 55, que l'équilibre des retraites pourrait être trouvé dans un allongement forcé de l'activité ?
Simplifions l'idée : travailler 70 heures par semaine entre 25 et 55 ans, c'est-à-dire seulement trente ans, cela est équivalent, du point de vue de l'équilibre des retraites, à travailler soixante ans dans le système actuel. Dans les deux cas on alimente des mêmes sommes les caisses de retraites.
Pourtant, le gouvernement, bien qu'adepte du " travailler plus pour gagner plus ", s'apprête à sanctionner plus lourdement encore les personnes dans ce cas, au motif qu'elles n'auraient cotisé " que " trente ans. Où l'on voit que pour le privé aussi il est vital que le gouvernement se débarrasse du fétichisme pernicieux de la durée de cotisation.
Pascal Gobry
Syndicaliste, inscrit au Tableau des actuaires (qui réunit les spécialistes des retraites)